A propos du lien social des analystes

La spécificité de la psychanalyse, en tant que praxis traitant du symptôme, repose sur une certaine conception de l’Inconscient, telle que l’ont développée Freud, Lacan et d’autres. Ce qui la caractérise c’est l’irréductible du refoulement (Urverdrängt), soit l’impossible pour la connaissance d’en venir à bout. Ceci rend compte que, malgré la durée de nos analyses, « supervisions », enseignements et autres « formations », le désir de l’analyste demeure encore et toujours tributaire d’une parole adressée transférentiellement à d’autres analystes sous quelque forme que ce soit. Telle est la raison profonde du lien social des analystes, même si la dimension imaginaire d’une reconnaissance mutuelle en constitue le semblant.
L’histoire du mouvement analytique a été marquée par de nombreux conflits et scissions qui peuvent faire douter de la consistance même de ce mot psychanalyse puisque sous ce vocable se rangent théories et pratiques disparates. Chacune, bien entendu ayant la conviction d’être dans la vraie voie.

Pourquoi choisir telle association plutôt qu’une autre ? Remarquons que ce choix dépend le plus fréquemment d’un prolongement du transfert à son analyste. La question se déplace donc sur ce qui détermine le choix d’un analyste. Force est de constater que cette question a été peu évoquée dans la littérature psychanalytique, comme s’il y avait là une certaine résistance à entrevoir que ce choix ne relève pas de notre être, mais des illusions dont l’analyste est le support, soit d’être entendu, compris, aimé comme nous l’attendions de nos parents. En d’autres termes nous attendons d’une association d’analystes d’y trouver ou d’y retrouver une famille soit de parler la même langue maternelle. C’est cette illusion qui est au fondement de l’adhésion à telle ou telle association d’analystes. Cette demande est tellement bien entendue que les associations développent une langue qui leur est propre au point qu’elles ne puissent plus s’entendre entre elles quand, à la manière de l’histoire des langues parlées, elles s’éloignent de ce qui fut à l’origine une langue commune.
Nous touchons là, à la psychopathologie des groupes et au fait qu’ils sont le support imaginaire de l’identité de leurs membres. Faut-il rappeler ce que Freud nous dit dans la Massenpsychologie, à savoir que l’identité groupale est une défense contre le fait qu’il n’y a pas d’identité autre qu’imaginaire ? Laquelle refoule qu’il n’y a pour le sujet que des identifications qui orientent à son insu son désir.

Toute association est confrontée structurellement aux incidences imaginaires de la vie groupale. Elles seront d’autant plus présentes que leur existence sera déniée. Par contre on peut en limiter les effets par des dispositifs dont la fonction est essentiellement de placer le manque de l’Autre comme cause efficiente. En extension, cela implique qu’une association ne fasse pas totalité pour ses membres et se laisse traverser sur le mode logique du pas-tout. Soit de reconnaître qu’il y a d’autres manières de penser et de pratiquer la psychanalyse. Ceci doit se traduire institutionnellement par des échanges avec d’autres associations. C’est la raison de l’engagement du GEPG à l’I-AEP. En intention, cela se caractérise par des dispositifs d’énonciation où la permutation des places introduit une distinction entre la fonction et la personne afin de limiter les incidences imaginaires sur la transmission de la psychanalyse. C’est ce que nous tentons au GEPG avec le dispositif sur la pratique dont les débats récents nous montrent qu’il nous enseigne sur nos résistances et qu’il requiert une constante évolution s’il se veut être le lieu où le désir de l’analyste reste le point vif de nos questions.
Nous avons fait le choix, jadis, de ne pas faire école au sens d’enseigner une doctrine et de prétendre former des analystes. Il nous a semblé que l’éthique de la psychanalyse requérait un autre type de lien social, celui d’une communauté d’analystes et de sujets intéressés par la psychanalyse, qui plaçaient la question du désir de l’analyste au centre d’un questionnement et d’une recherche sans cesse relancée.

Ce n’est pas la voie la plus facile que de se démarquer du modèle de lien social le plus commun soit l’identification imaginaire à un père de substitution à une époque où les états, sous prétexte d’une défense de l’usager, ont la fâcheuse tendance à vouloir dire ce qu’est un psychothérapeute et peut être bientôt un psychanalyste.
Se démarquer de l’entretien de la dimension imaginaire du transfert, qui repose sur une personnalisation du savoir, implique pour chacun d’entre nous, membre du GEPG, de se sentir responsable de la transmission de la psychanalyse aussi bien dans sa pratique que dans son lien associatif avec ses collègues.

C’est dire l’importance de ces moments où nous nous parlons et sommes susceptibles d’entendre ce que nous ne savions pas penser.

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