La psychanalyse, c’est quoi ? Les visées de la psychanalyse

Séminaire ouvert du GEPG 28 janvier 2016
Isabelle Carré
Guéris-donc.
De quoi veulent-ils que je guérisse donc?
De quelle spécificité relève la psychanalyse et quelle est sa visée?


1/ La guérison, par surcroît?

La psychanalyse vacille toujours dans ses fondements: science humaine, culture,  » procédé thérapeutique le plus puissant », comme l’écrivait Freud, puis Lacan dans son séminaire « L’angoisse » en 1962. Freud précisait également que « l’importance de la psychanalyse dépasse largement son importance thérapeutique. »

Lorsque la psychanalyse est pratiquée par des praticiens ayant une formation, un titre de médecins psychiatres ou de psychologues et que les personnes qui consultent s’adressent avec le désir d’être soulagé, pas forcément dans le but de faire une analyse, la question de la pratique analytique et des variantes de la cure-type se pose de manière encore plus exacerbée.

Une assertion est couramment utilisée dans le jargon des analystes:  » la guérison vient par surcroît », énoncé par Freud, puis Lacan, dans Les écrits notamment :  » si Freud admet la guérison comme bénéfice de surcroît de la cure psychanalytique, il se garde de tout abus du désir de guérir »

Freud signifie que la guérison, terme maladroit, nous entraînant dans des contradictions, n’est pas un fin en soi, la visée unique et ultime. De surcroît est un apport nécessaire, supplémentaire, et différent.

Le vocable guérison est d’une ambiguïté tel qu’il est difficilement utilisable sans d’emblée nous entraîner dans des contradictions, des vacillements. Il sous tend une certitude, une finitude dans sa définition, qui prend le sens d’une « disparition totale des symptômes d’une maladie, et des conséquences d’une blessure, avec le retour de la santé à l’état antérieur » . Il se révèle non applicable à l’analyse. Comment pourrait-on, après une histoire douloureuse, dépasser et de déprendre de ses symptômes en restant dans une forme de naïveté de l’avant, le paradis perdu de la jouissance infinie et sans entraves? Changer sans que rien ne change est un vœu pieux, une belle illusion.

Dans la représentation populaire et comique, le psychanalyste est sans empathie, sans affects, il écoute son analysant dans un silence religieux voire monacale, et ce, uniquement pour les jeux de signifiants et le plaisir que cela lui procure. Cette vieille image d’Epinal est tenace, et a été reprise maintes fois par les humoristes. Mais nous sommes suffisamment doués pour nous caricaturer nous-mêmes: formulations jargonneuses, conceptualisations qui semblent inaccessibles, les hum, eh, ah, oh en mélodie, si bien rendus dans cette vignette de « Bref j’ai vu un psy », de Kyan Khajandi et Bruno Mushio, dont je vous cite un extrait:  » la première séance il a pas parlé, j’ai pas parlé, je me suis souvenu que la séance était à 72€, alors j’ai dit… » Il faut au moins cette perte-là pour oser dire ?

Il est établi et reconnu que la corporation des analystes réunis en chapelles ne s’intéressent pas à la vie des analysants et ont un dédain renommé pour leurs souffrances…

L’analyste qui reçoit une personne dont la demande n’est pas encore explicite entend évidemment qu’elle fasse un peu l’économie des symptômes qui la font souffrir.

Nous ne sommes pas obligés de nous arrêter aux maladresses des aphorismes qui passent dans le langage courant, comme le montre l’exemple suivant.

Combien de fois ai-je également entendu ces formules ramassées: » si il (elle) souffre de cette situation, c’est qu’il ( elle) en jouit. »

L’art consacrée des raccourcis amène à des malentendus qui parfois s’installent et se figent.

À confondre de trop près jouissance et souffrance, dans notre manière de parler, nous passons parfois à côté de ce qu’une personne néophyte peut entendre. Même si nous savons bien qu’elles sont mêlées comme deux sœurs jumelles, ces deux-là.

Nous reproduisons des schémas dont nous n’avons pas conscience et qui nous place toujours dans la même souffrance. C’est bien parce que nous y sommes pour quelque chose. C’est là que se loge la jouissance, au cœur de la répétition, qui promet des retrouvailles avec ce temps archaïque sans manque.

La personne qui souffre, quant à elle, veut une aide immédiate, une attention, des solutions, ne sait pas encore ce qu’elle désire, et se moque un peu des signifiants qui la traversent et dont elle est le jouet  malgré elle, ou de la jouissance originaire sous-jascente, dont elle ne veut rien entendre.

La personne qui occupe la fonction d’analyste ne se laisse pas aveugler ce  » je voudrais » qui est une demande inconsciente d’une jouissance qui ne s’arrête pas. C’est sensiblement essentiel, d’écouter au delà de la plainte, car sous la souffrance se camoufle la jouissance, cette impossibilité de renoncer à ce qui est irrémédiablement perdu. D’autant que le symptôme a son rôle, il est structurel, une forme de barrière contre l’angoisse, l’angoisse n’étant dès lors qu’un symptôme général parce que non associée encore à ce qu’elle a de singulier pour un sujet.

2/ Le symptôme en analyse diffère du symptôme médical.

Il est opportun et fondamental de rappeler que le symptôme en analyse est conceptuellement très éloigné du symptôme médical, les conceptions de ces deux notions étant très différentes. Comme, dans le rêve, Freud décrit le contenu manifeste et le contenu latent, nous pourrions presque avancer que l’analyse s’intéresse plus au contenu latent, voilé, caché du symptôme qu’à ses manifestations. Et surtout à la manière dont s’énonce le symptôme dans le déroulement de la parole en associations libres.

Une dépression, un burn-out, un épuisement professionnel, l’angoisse, sont des symptômes vagues et peu arrimés, posés de l’extérieur par celui qui tente de les accrocher à un diagnostic, une cause, ou encore une représentation sociale, une image inconsciente collective. Ce sont ceux qui, communément, font qu’une personne en vient à demander une aide extérieure.

Je pense à un patient suivi depuis des années par son médecin généraliste pour dépression, c’était manifestement ce qui le préoccupait. Son état ne s’améliorant pas sous antidépresseurs, il finit par consulter un psychiatre qui déclara ne rien pouvoir pour lui, qu’il était préférable qu’il consulte un analyste.Le patient, après avoir raconté son problème encore une fois, dans la lassitude de la parole répétée, a fini par s’entendre dire que sa soi-disant dépression était un pauvre petit arbuste qui cherchait à camoufler une tendance bien ancrée et bien honteuse à se travestir, dont il tentait vainement de se débarrasser par la volonté. Sa formulation ressemblait à celle-ci, qui est la mienne: « je me travestis parfois, mais ça n’a pas de lien. Et je ne le fais plus de toute façon! »

C’était une première et nouvelle accroche, ne plus le faire avait eu des conséquences, la tristesse et le désarroi, le vide. Le symptôme se dévoilait, une identité vacillante et un questionnement. C’est donc dans cette forêt dense de signifiants que nous avons commencé à chercher et trouver des pistes. nous sommes dans un espace autre, une autre clinique, celle du signifiant.

Les symptômes en analyse sont tout autres que les symptômes médicaux,  ils changent pendant la cure, dans la relation transférentielle qui n’est elle-même pas figée.  Les symptômes sont des formations de l’inconscient, encalminés initialement à cet endroit-même où la personne qui souffre est encalminée dans sa compulsion de répétition.

Lacan écrivait à propos du symptôme:

« Il est le symbole d’un conflit défunt par delà sa fonction dans un conflit présent non moins symbolique. Il est clair que le symptôme se résout tout entier dans une analyse du langage, parce qu’il est lui-même structuré comme un langage, qu’il est langage dont la parole doit être délivrée. » ( J. Lacan, Les Écrits, 1966, p. 269)

Le sujet n’est pas réductible à son symptôme médical, pas plus qu’il ne souhaite être réduit aux signifiants qui le représentent.

Nous le remarquons, la guérison est un terme tellement marqué au fer rouge d’une science médical que lorsque un

médecin pose cette guérison sous forme d’une quasi injonction, d’une demande à peine masquée, ou lorsqu’un analyste la pose sous forme d’un désir attendu pour le patient, cela entraîne un dérapage dans la relation transférentielle qui se construit. Vouloir le bien de quelqu’un presque à sa place n’a jamais été, même en dehors de toute démarche analytique, très efficace, pas plus que le fameux « c’est pour ton bien »  » si tu fais ceci, il va t’arriver cela. » paternel ou maternel, cette croyance en la toute vérité des paroles parentales. Lorsque le désir de l’analyste ou d’un médecin vient se manifester trop bruyamment et percuter ce déploiement des répétitions du patient, il va empêcher l’accès du patient à sa propre vérité et à son propre désir.

Toute personne a besoin de garder une indocilité nécessaire pour accéder à son propre désir. Tout adolescent dans ses maladresses de construction le perçoit bien.

Certains patients souffrant de maladies neurologiques invalidantes résistent aux traitements que les neurologues veulent instaurer pour limiter la gravité des rechutes, dans un rapport bénéfices/ risques douteux, et ce temps de lutte est souvent malgré tout salvateur. Si vous ne pouvez m’empêcher de mourir, ma vie m’appartient au moins jusqu’à cet instant-là, où mon âme et mon corps ne seront plus d’accord que sur une seule chose, la rupture. ( Georges Brassens, supplique pour être enterré à la plage de Sète)

Le symptôme a donc un rôle, une place particulière, c’est cette parole sur le symptôme que tente d’entendre l’analyste.

3/ Le travail préliminaire et les variantes de la cure-type.

C’est tout le travail préliminaire nécessaire qui consiste à élaborer, construire ce cadre et cet espace dans lesquels la personne va s’apercevoir qu’à quitter le discours convenu et événementiel, à entrer dans les petits détails qu’elle pense insignifiants, elle va finir par s’ouvrir un autre espace de parole, où cette dernière va être mise en mouvement différemment.

On peut entrevoir le sujet noyé dans ses signifiants, encore faut-il l’aider parfois à sortir un peu la tête de l’eau, juste pour continuer à respirer. Quand une personne se noie littéralement, les entretiens préliminaires peuvent lui permettre d’abord de faire ce pas de côté nécessaire pour s’entendre autrement. Nous pourrions dire que nous sommes des réanimateurs d’une parole éteinte ou endormie.

Parfois, nous entendons qu’il s’agit d’une parole qui tourne sur elle-même en boucle et qui répète les mots convenus ou entendus.  » je fais une dépression, je suis harcelé. »  » je l’aime, je ne peux pas le (la) quitter même si… »

Rien ne vient au delà de la signification courante que l’analysant attribue à ses symptômes généraux.

Lorsque l’analyste reste dans cet espèce de paroles entre-deux,  sans accroche signifiante, sans associations, le travail peut paraître laborieux, lent, le temps immobile.

Il ne se passe pourtant pas rien, parce que l’écoute analytique ne comble pas avec des solutions préconçues, elle propose, sans diriger, elle oriente vers d’autres voies, encore invisibles jusqu’alors.

Il est parfois très laborieux à venir pour l’analysant, ce pas de côté qui permet de percevoir dans sa propre parole les effets des formations de l’inconscient, au travers d’un rêve, d’un lapsus, d’un rire dans le drame. C’est un peu comme si la personne était encore en deçà du signifiant et à la recherche de signification qu’on pourrait lui donner. Il y a peu de jeu sur la ligne de la parole, et c’est un peu notre labeur, redonner du jeu afin que les lignes bougent.

Ce serait un mouvement nécessaire précédent l’entrée dans la cure proprement dite, ou dans une variante de celle-ci, lorsque le symptôme, dans un vacillement  de sa présentation initiale, révèle ses constructions singulières.  Mais il ne me semble pas y avoir de séparation raide, manichéenne entre ce temps préliminaire et l’analyse proprement dite.

Enfin, une théorie n’est pas un parti pris, pas plus que les paroles ne sont des vérités du côté du savoir ou de la signification, mais bien plus un inattendu qu’un effet attendu.

4/ L’inattendu du transfert.

Ou comment répondre différemment à la demande.

De quelle demande s’agit-il donc? L’allègement du Symptôme singulier du sujet, l’économie du Symptôme relève d’un effet d’inattendu. Cet inattendu reste à entendre dans les déplacements de la parole de l’analysant. Il appartient au sujet de se l’approprier et de le décliner, de déterminer de quoi il se sent délesté et non guéri.

La pensée positive, très en vogue et qui prend des formes caricaturées sur la toile, lorsqu’elle propose de soulager par une parole pleine qui évoque de la guimauve en barre, a cet effet d’un parole séduisante mais qui comble et remplit tellement qu’elle déborde jusqu’à la nausée, comme en témoigne cet exemple, caricaturé à souhait, vous en conviendrez, afin de marquer le trait :

« retrouvez le bonheur de façonner de vos propres mains, apprenez à ré-enchanter l’instant présent. Passez du temps avec vous-même, Retrouvez le plaisir de ne rien faire, de ressentir votre oisiveté, votre part d’enfant, confiance, joie de vivre et innocence. »

La psychologie du bonheur ou tout autre psychothérapie a quelque chose d’épidermique et d’étouffant quand elle est présentée comme une fin en soi, ou qu’elle prétend brandir un savoir. Un savoir sur la beauté, sur les bons sentiments ou l’amour.

Tout comme certaines approches psychothérapiques, quand elles se réduisent à une somme de recettes toutes faites et applicables, comme thérapeutique de guérison pour le bien de l’autre. Lorsqu’elles ne sont qu’outils temporaires, ou amorce à une pensée, c’est autre chose.

Elles ne sont alors pas opposées ou incompatibles, mais ont une visée différente. On peut bien pratiquer le yoga, la méditation, pour gérer son stress, se faire coacher pour diriger une entreprise, son commerce, ou éduquer ses enfants, et faire un travail sur soi. Et pourtant toujours dans le but d’aller mieux avec soi-même et les autres. Ou d’éprouver un peu de vacuité.

Dans notre économie de marché, tout devient consommation et service. Jean Baudrillard le soulignait déjà dans les années 1970. Tout type de psychothérapie est offert aujourd’hui, avec obligations de résultats rapides et évaluables à court terme. Les objectifs sont fixés, le délai pour les atteindre aussi, et la route pour y aller également. C’est l’effet GPS. Dans l’offre, l’important est de chercher à satisfaire rapidement, à gratifier, à prendre soin de la personne. Sinon c’est entendu comme une non bienveillance. Même le silence devient source d’angoisse. Le fait de ne pas savoir où l’on va aussi,

Pourtant une vigilance est de mise dès qu’on l’ouvre, pour ne pas que la parole soit entendue par certains comme une promesse, d’amour ou de guérison ou de jouissance.

Toute technique ou pensée peut engendrer de la culpabilité, de l’envie, quand elle fait miroiter un idéal inaccessible en disant que chacun devrait être en capacité de l’éprouver ou de l’atteindre.

Cela conduit aussi à mendier des solutions, des réponses, de l’amour, et croire les trouver, c’est prendre le risque de ne jamais sortir de sa dépendance et de son enfermement sur soi. J’ai perdu quelque chose et je pense foncièrement que je peux le retrouver, ou qu’un autre va m’y aider ou me le rendre, est une croyance infantile qui a encore de beaux jours devant elle.

Jamais les symptômes ne se déplient et ne se manifestent autant que lorsque l’analysant tente de séduire, ou de provoquer une réaction, de s’attirer les attentions, l’empathie ou l’antipathie, ou encore choquer, déstabiliser son analyste. C’est bien dans le transfert que le symptôme dévoile toute sa panoplie, qu’elle soit demande de reconnaissance ou d’amour. L’analyse est d’abord analyse des jeux du transfert.

Enfin, les effets thérapeutiques ou la fin d’une analyse ne sont pas confondus, ni programmables ou identifiables à la disparition de certains symptômes, mais plutôt en partie aux multiples dénouements du transfert.

Parfois, c’est lorsqu’une personne parle de son parcours en analyse qu’elle exprime le mieux ce que peut être la situation de vie en fin d’analyse, singulière à chacun, parce que le désir est singulièrement inclassable.

Fabrice Lucchini, personnage atypique, qui vit selon ses termes dans le repliement, une sorte de vacance, parce qu’il n’est ni un homme de mondanités, ni de progrès, et se vante d’avoir une plus grande longévité en analyse que Woody Allen, en parle ainsi:

 » j’avais des phobies, des trucs qui entravaient vraiment ma vie. Aujourd’hui je dirai que ça a musclé mon identité. Je suis moins dépendant de ma fébrilité hystérique. Il y a chez l’acteur ce  » aimez-moi »,  » regardez-moi », bref toute cette cochonnerie de l’hystérie qui a été mon lot quotidien. Il y a trente ans, j’étais un sacré énergumène. Grâce à l’analyse, je ne suis plus une victime, un mendiant de cette demande affective. » Même s’il reste et restera un sacré énergumène, ayant fait de sa névrose son fond de commerce et sa source de créativité !…

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