Les psychanalystes et la question du thérapeutique. On le sait , il a existé et il existe encore à certains moments une tendance à considérer psychanalyse et thérapeutique , comme deux champs radicalement différents , hétérogènes . Ainsi, pour certains , il n’y n’aurait pas à prendre en considération les questions posées par le point de vue thérapeutique . Pourtant , aussi bien Freud que Lacan ont toujours maintenue ouverte cette interrogation et cherché une articulation appropriée . Une formule de Lacan en constitue une expression pertinente :«La guérison vient de surcroit ». Aphorisme dont la sobriété condense plusieurs significations différentes . Je vais essayer ce soir de les énoncer et de les déployer .
Cette formule apparaît par deux fois dans l’élaboration lacanienne .
La première dans «Variantes de la cure-type » ( en 1955 in Ecrits p.324-5):je cite :
«s’il , ( le psychanalyste ) , admet la guérison comme bénéfice de surcroit de la cure psychanalytique , il se garde de tout abus du désir de guérir »…
La seconde dans le Séminaire X «L’Angoisse » (p.69) (1962) où quelques années plus tard il revient sur sa proposition et les réactions qui l’ont accueillie . Je cite:
«….en disant , dans l’analyse , la guérison venait par surcroit . On y a vu je ne sais quel dédain de celui dont nous avons la charge et qui souffre , alors que notre justification comme notre devoir est d’améliorer la position du sujet. ». Je reviendrai par la suite sur ces citations très intéressantes .
La guérison viendrait «de surcroit », «par surcroit » de la cure psychanalytique … ces formulations caractèrisent ce qui vient s’ajouter à ce que l’on a déjà obtenu , comme un supplément naturel , nécessaire.
Mais de quelle guérison s’agit-il? Ce terme participe habituellement du discours médical et le contexte souligne bien que c’est cette signification qui est ici en jeu , puisqu’ il s’agit de prendre en charge la demande d’aide d’un sujet par rapport à sa souffrance , d’accepter de jouer un rôle dans sa lutte pour mieux vivre . Les objectifs poursuivis sont-ils alors les mêmes que ceux recherchés par la médecine , par les psychothérapies s’appuyant sur la suggestion , par l’usage des psychotropes ? Sont-ils ceux explicitement demandés par le patient: diminuer , alléger un symptôme d’ordre général: l’ anxiété , l’ angoisse , la dépression; ou bien soulager un Symptôme singulier: une phobie , une obsession , une douleur somatique?
L’aphorisme «la guérison vient de surcroît» articule d’une façon particulière deux intentions singulières de la pratique: la psychanalytique et la thérapeutique.
Déplions les différentes significations sous-jacentes . Ce faisant
-la formule différencie nettement visée thérapeutique et visée analytique
– également ,elle prend en considération la visée thérapeutique et reconnaît sa légitimité
-et enfin ,elle inféode le thérapeutique à l’analytique . En ceci elle prend le relais des expressions freudiennes qui posent les bénéfices curatifs comme »gain marginal »(in Résultats , Idées , Problèmes 2p.69) ou alors »effet secondaire du travail analysant ».(in Technique de la Psychanalyse p.139-40) .
Et en conséquence cette formule érige le travail psychanlytique comme référence essentielle , principale pour qu’il y ait des effet thérapeutiques . Elle promeut le fait que ceux-ci peuvent être obtenus , uniquement par le fait de laisser de côté toutes préoccupations soignantes directes , et exclusivement dans cette mesure -là . De la sorte le travail psychanalytique peut , pour ainsi dire , être considéré comme une méthode . Une méthode radicalement différente de celles proposées par la médecine …en ceci que son mode d’action est indirect , et ses résultats aléatoires . Alors qu’au contraire les méthodes médicales sont directes et présentées , le plus souvent , comme assurées de leur efficacité . Strictement , le terme -même de »guérison » y désigne le fait de retrouver un état antérieur idéal , de recouvrer la santé , manière d’être harmonieux dans son corps comme dans son psychisme . Guérir , c’est supprimer une maladie , un ensemble de symptômes.
Le monde médical obeit à la logique formelle de la science: un lien direct entre les effets et les causes , aussi bien quant à l’origine des phénomènes qu’en ce qui concerne leur traitement.
Poser le bénéfice thérapeutique comme l’effet à la fois indirect et à la fois aléatoire d’une méthode , subvertit complètement cet esprit médical . La visée apparaît similaire , alléger la souffrance , mais les voies pour y parvenir sont radicalement différentes .
Ce que Freud énonce ainsi: «L’élimination des symptômes de souffrance n’est pas recherchée comme but particulier , mais , à la condition d’une conduite rigoureuse de l’analyse , elle se donne pour ainsi dire comme bénéfice annexe » (in Psychanalyse et théorie de la libido – 1923- p.123 ). Bénéfice annexe, de surcroit , indirect …
Cette modalité de «l’Indirect» a toute son importance .
Pour le psychanalyste ,l’Indirect ouvre un temps libre de toute contrainte , tenant à distance toutes les urgences . D’abord l’urgence à soigner , bien sûr , cette «furor sanandi», dont la puissance considérable , relayée par le social peut agir insidieusement . Le fantasme de guérisseur n’est pas , bien sûr , l’apanage de ceux qui ont choisi de faire des études de médecine et ses racines sont complexes et singulières à chacun .
Et également…il y a une autre implication de la formule «guérir de surcroît»: la prise en considération de la visée thérapeutique et la reconnaîssance de sa légitimité .
N’est-ce pas là en opposition avec la conception habituelle de la réponse que l’analyste a à donner à la demande , qu’il n’y aurait , justement , pas lieu de satisfaire ? Et cela concerne , bien sûr , la demande de soins .
Le point de vue éthique nous donne une telle indication , afin que soit laissée vacante une place pour le parlêtre qui se manifeste par cette médiation . La demande nous est adressée à l’aide de signifiants singuliers qu’il y a tout-à-fait lieu d’entendre dans leur polysémie . Il s’agit de ne pas donner prise au sens unique sous lequel ils se présentent afin que soient fournies toutes les chances pour qu’une parole puisse se déployer . Mais d’une façon sous-jacente ,ce qui fonde cette demande , n’est-ce pas un appel à l’aide pour trouver les moyens de soulager une souffrance radicale ? Pour une part certainement , un appel au grand Autre , en tant que lieu du trésor des signifiants . Nous en sommes le lieu d’adresse . En accueillant un sujet qu’il arrive à Lacan de caractèriser comme » celui (qui s’adresse à nous) dont nous avons la charge et qui souffre … », n’acceptons-nous pas une responsabilité par rapport à cette visée ?
Lacan parle même de «désir de guérir »: je cite «il ( le psychanalyste ) se garde de tout abus du désir de guérir»(Variantes de la cure-type ) ( in Ecrits p.324-5). En cela il prend également le relais de Freud qui évoquait l’existence , en ce qui le concernait , d’un désir de médecin qu’il jugeait toutefois, heureusement , beaucoup moins important que celui d’un Férenczi chez qui il critiquait la »furor sanandi » . Certes , Lacan n’a pas tenté de faire de ce «désir de guérir » un concept . Mais n’est-ce pas là une notion qui nous permet de dénommer un des désirs qui oeuvrent dans le soutien de la position du psychanalyste? Et cela dans une fonction très différente de celui théorisé comme «désir de l’analyste» … qui , lui, prend sa fonction opératoire de ce qu’il est un désir pur , dans le sens où il n’est concerné par nul objet de la réalité , nul objet de la demande . Il ne peut donc pas donner prise à celle-ci et va constituer la source de l’interprétation , comme pratique de la coupure . N’y -a-t-il pas un autre désir qui oeuvrerait non pas dans le sens de la déliaison , mais en quelque sorte à l’opposé …dans celui du nouage , de la liaison ?
Ainsi ,ce «désir de guérir» serait un élément opératoire nécessaire , au début du processus , comme ce qui préside à l’accueil des sujets et de leur souffrance , comme ce qui constitue l’analyste en tant que support du transfert , comme ce qui instaure le lien transférentiel …première étape de l’Acte Analytique .
Et lorsque nous avons une clinique où la demande n’apparait pas structurée par des signifiants repèrables , une clinique de cas-limites: border-lines , états dépressifs mélancoliformes , sujets posant la question de la psychose . Lorsque les sujets apparaissent dans une errance qui témoigne d’une précarité , d’une labilité voire d’un défaut d’ancrage symbolique … notre position n’est-elle pas impliquée d’une autre manière que par celle de ce » désir de l’analyste » défini comme nous l’avons fait précédemment ? Ne serait-ce pas alors , un autre désir , qui serait là en jeu? Dans la mesure où il soutient une pratique active très différente de celle centrée sur l’interprétation … une pratique faite de la réanimation et de la reconnaissance des signifiants du sujet , comme aussi bien de la transmission de certaines dénominations pour les choses de la vie … une pratique développée dans des dispositifs qui ne sont pas celui de la cure: psychothérapie faite par un analyste,psychothérapie institutionnelle , psychodrame analytique…