Le symptôme en analyse

Le symptôme en analyse.
Le cas Anna O.
Isabelle Carré

Je vous propose un bref résumé du texte de J. Breuer avant d’entamer notre sujet.
Freud et Breuer étaient devenus amis et partageaient volontiers leurs découvertes scientifiques.
Anne O. a 22 ans lorsqu’elle consulte pour la première fois Joseph Breuer. Nous sommes en 1880 et Freud prépare alors sa thèse de doctorat en médecine. C’est donc Breuer qui va lui raconter ce qui se déroule lors des séances avec Anna O. et qui va susciter son intérêt.
« Il me lu à plusieurs reprises des passages de l’histoire du cas, dont je retirais l’impression qu’il faisait avancer la compréhension de la névrose plus qu’on ne l’avait jamais fait auparavant. »
Il écrivit également : « sur le dénouement de ce traitement hypnotique régnait une obscurité que Breuer ne dissipa jamais pour moi. »
Ce fut le premier cas de traitement par talking cure, de cure par la parole, nom qu’Anna O. donna elle-même aux séances qu’elle effectue avec le médecin Joseph Breuer, et de chemney sweeping (ramonage de cheminée) car Breuer constate que l’usage de la parole paraît doué de pouvoirs thérapeutiques sur cette jeune femme. Elle a des entretiens réguliers avec le médecin sous hypnose induite par des mots ou des objets. Anna prend l’initiative d’appliquer systématiquement cette méthode au cours des séances suivantes. Les symptômes disparaissent chaque fois qu’ils sont évoqués et que la malade peut se souvenir des circonstances précises dans lesquelles ils étaient apparus pour la première fois, et y associer l’état émotionnel dans lequel elle était alors. Elle se remémore la scène à l’origine du symptôme, en fait le récit il y a comme libération de l’énergie émotionnelle des affects maintenus jusqu’alors oubliés, refoulés. Cela sera généralisé par Freud sous le nom de méthode cathartique, point de départ de la méthode analytique et de la théorie de l’inconscient.

L’histoire
Anna O, pseudo choisirait J. Breuer et de son vrai nom Bertha Pappenheim, est une jeune femme de la bourgeoisie viennoise, qui présente en juillet 1880 des symptômes multiples. Elle souffre entre autres d’un strabisme convergent d’une contracture et d’une anesthésie du bras droit puis de la jambe, d’alternance de phase de tristesse et de phases d’agitation, d’hallucinations, de perte de mot, de jargon parlé ou écrit, des absences auto-hypnotiques. Elle a perdu sa langue maternelle l’allemand et adopte la langue anglaise de sa nourrice.
Une aggravation des symptômes survient après la mort de son père en 1881. Le père d’Anna meurt de tuberculose en 1881.
Elle alterne des phases d’absence et de somnambulisme à des phases d’états normaux. On note d’emblée une relation particulière au médecin qui la prise en charge, car son état s’aggrave quand Breuer part en voyage et elle ne peut parler à personne d’autre que lui. La seule personne qu’elle reconnaît parfois, c’est son médecin, où il lui arrive de refuser de manger, sauf ce que Breuer lui donne.

Anna se souvient d’une scène de juillet 1880, à l’époque où les symptômes se sont produits pour la première fois. Son père était atteint d’un abcès, dans le contexte d’une tuberculose. Anna se réveille très angoissée et on attend le chirurgien. Elle est assise auprès du lit, le bras droit accoudé sur une chaise. Elle tombe dans un état de rêverie pendant la séance avec Breuer, au cours de laquelle elle raconte cette scène, elle voit sur le mur un serpent noir qui va tuer le malade. C’est un fantasme de destruction qu’elle refoule. Elle a le bras qui se paralyse, le bras pendant sur le dossier de la chaise, elle voit ses doigts se transformer en serpent à tête de mort. Breuer dit qu’elle a voulu les chasser avec sa main engourdie. Elle ne peut alors s’exprimer en aucune langue jusqu’à ce qu’elle retrouve une phrase en anglais enfantine.
Anna est alors prise d’une ambivalence majeure, celle de sortir et de s’amuser comme toutes les jeunes filles de son âge (elle n’a alors que 21 ans) et celle de rester auprès de son père pour le soigner. Sa mère est à cette période absente et elle se sent tenue de s’occuper de son père. C’est ce que Freud appellera un conflit psychique inconscient.
Elle présente d’autres épisodes qu’elle raconte à Breuer, dont un spasme de la glotte. Elle se rappelle dès lors une querelle dans laquelle elle a réprimé une réponse, et ce spasme se répète à chaque occasion analogue.
Elle souffre également d’un strabisme : elle se souvient d’une scène où son père lui demande l’heure, elle pleure et ne voit pas le cadran, les chiffres lui paraissent énormes. Bien éduquée, elle refoule ses larmes pour que son père ne les voit pas, elle a le souci de ne rien laisser voir de son angoisse. Il ne lui reste de la scène que le trouble visuel, pas l’émotion ressentie.
Citons aussi la surdité, elle n’entend pas dans des moments de frayeur, de distraction, quand on l’interpelle. Pendant l’analyse de sa surdité, elle devient si sourde qu’elle communique avec son médecin par écrit. Cette scène est en rapport avec une frayeur ressentie pendant qu’elle soignait son père, et un oubli de sa part.
Un autre symptôme qui caractérise ce conflit est celui de sa toux persistante. Elle se souvient qu’au chevet de son père malade, elle avait réprimé un désir d’aller danser quand elle avait entendu une musique. Elle fut alors prise d’une quinte de toux. Et elle réagit dès lors à toute musique par une toux nerveuse.

Anna réprime une pensée ou une pulsion corporelle, qui se répercute dans son corps par une représentation symbolique: un symptôme, effaçant la trace de la pensée.
Freud écrit d’ailleurs à ce sujet:  » c’est de réminiscences dont souffre l’hystérique. »
(J. Breuer et S. Freud, Études sur l’hystérie, [1895], Communication préliminaire : « Le mécanisme psychique de phénomènes hystériques », [1892], PUF, Paris, 1994, p.5)
Un autre symptôme ne disparaît qu’une fois qu’Anna O. se rappelle sous hypnose de sa première apparition, elle raconte qu’un jour elle avait vu « sa dame de compagnie anglaise qu’elle n’aimait pas […] faire boire son petit chien, une sale bête, dans un verre » Elle avait ressenti un vif dégoût qu’elle avait encore une fois poliment caché.
A la suite de cette remémoration, Anna O. cessa d’être hydrophobe, momentanément au moins.

Breuer donnera le nom de méthode cathartique à cette cure qui associe de l’autohypnose à l’écoute de la parole de sa patiente, l’abréaction ou la catharsis consistant en la levée du refoulement et une décharge des émotions qui y était associé. Nous pourrions dire un moment où l’affect et la représentation se retrouve.
Après deux ans de traitement Breuer met un terme à leurs séances en juin 1882 : le soir de leurs adieux, il est appelé à son chevet, elle est agitée et mime un accouchement. Accouchement imaginaire et fantasmatique, Breuer ne met pas longtemps à comprendre en partie ce qui se joue et est effrayé par l’attachement amoureux qu’il a sans le vouloir déclenché, même s’il a du mal à le nommer. C’est Freud qui parlera plus tard de transfert.
L’embarras dans lequel est plongé Breuer, Freud a pu différemment lui-même le rencontrer lors de cures avec certaines de ses analysantes, il parle de transports d’affection.
« Alors qu’une fois, j’avais délivré de son mal l’une de mes patientes les plus dociles, chez qui l’hypnose avait permis de réaliser les plus remarquables prodiges, en ramenant l’accès douloureux à sa cause, elle me passa à son réveil les bras autour du cou. L’entré inopinée d’une personne de service nous évita une explication embarrassante, mais, par un accord tacite, nous renonçâmes dès ce moment à poursuivre le traitement par hypnose. Je gardai la tête assez froide pour ne pas porter ce hasard au compte d’un charme personnel irrésistible […]  » Freud dans cette dernière phrase, dévoile déjà indirectement tous les ressorts du transfert et du contre transfert. Il identifie qu’il n’est pas l’objet de désir de la patiente mais seulement support d’un fantasme.
Ce que l’histoire ne dira jamais, c’est si le médecin viennois Joseph Breuer a découvert la méthode cathartique en s’éprenant de la jeune fille, mêlant passion scientifique et transfert passionnel déclenché par sa méconnaissance du contre transfert.
De plus, Breuer n’est pas persuadé des théories de séduction de Freud. Il part ensuite pour Venise avec sa femme, laissant Anna O. à son sort, et il aurait eu une fille de cette lune de miel. Certains textes historiques disent que la fille de Breuer serait née en mars 1881 et s’appelait Bertha, donc contredisant l’idée qu’elle serait née d’un passage à l’acte de Breuer après l’interruption de la cure avec Anna.
Bertha, quant à elle, a consacré sa vie aux femmes juives et orpheline, elle fut une des figures du mouvement féministe européen, est reconnu comme la première assistante sociale. Elle a écrit un roman en 1890 sous un nom masculin. Elle mourra en 1936.

De cette étroite collaboration entre Freud et Breuer sont nées les « Etudes sur l’hystérie », parus en 1895.
Freud écrit dans les études sur l’hystérie :
« Des théories parfaites ne tombent pas du ciel, vous vous méfierez à plus forte raison de l’homme qui, dès le début de ses observations, vous présenterai une théorie son lacune et complètement parachevée. Une telle théorie ne saurait être qu’un produit de spéculation et non le fruit d’une étude sont partis pris sur la réalité. »

Enfin pour terminer il faut qu’on le fait qu’un courant révisionnistes aux États-Unis en 1985 a revu le cas Anna O. pour le présenter comme une mystification. Ni Freud ni Breuer non jamais cependant prétendu guérir totalement Anna O. qui a été malgré elle à l’origine de la découverte de la psychanalyse.
Chez Anna, il y a un corps qui parle, et un corps qui jouit par différents moyens mais nous pouvons largement repéré que le lieu de la jouissance est toujours le même, le corps. Le concept lacanien et le néologisme de lala langue, témoigne de la rencontre de la langue du corps, et se construit dans la vie singulière de chacun, Le parlêtre étant également l’être de langage, celui qui parle.
Lorsque nous parlons de catharsis chez Freud et de moment où l’affect et la représentation se retrouve, Lacan parle de formation de l’inconscient, de trébuchement de la langue, qui font qu’un conflit psychique se traduit par une représentation symbolique dans le corps, le langage ayons cette fonction de symbolisation corporelle et déclenchant cette intrication de la parole du corps.

Nous avons rappelé que la pulsion est un concept frontière entre psychisme et somatique, la pulsion nait comme d’une poussée, pour atteindre un but, en vue d’une satisfaction. Quelque chose part d’un organe, passe par le corps et le psychisme. La pulsion se définit comme une trace psychique d’un événement organique, puis corporel. L’objet de la pulsion étant ce par quoi elle se satisfait.
Nous ne ressentons qu’un éprouvé de la pulsion, un représentant de celle-ci.
1915: Freud a parlé de la pulsion comme ayant une énergie dévolue un objet dans la relation d’objet ou qui reste sur le moi dans le narcissisme. La pulsion est inféodée à un désir qui va permettre la décharge de cette dite pulsion. Lacan va développer cette notion de désir et y articuler le concept de jouissance, la jouissance étant une dimension océanique bordée par le désir. Tout au long de sa vie, nous cherchons à retrouver le premier moment de jouissance, de non frustration.
Et le désir vient articuler une relation à l’autre, le désir étant toujours désir de l’autre. Ce qui signifie que le désir court toujours vers un but impossible à atteindre, au sens d’une relation de complétude qui rappellerait le temps originel de fusion avec la mère, le temps de la jouissance pure, qui nie l’autre comme autre. C’est une sorte de boucle de jouissance qui s’auto-entretient.
Citons l’exemple le plus connu.
Lorsque l’enfant pleure pour la première fois, c’est un cri de besoin, que nous pourrions appeler la demande originaire, car la mère interprète ce besoin comme une demande.
Puis la mère va retirer le sein, créant une frustration chez l’enfant, un manque, qui va déclencher chez lui le désir d’halluciner, de fantasmer ce sein, tentant de retrouver ce plaisir originaire, qui va mettre en mouvement son énergie libidinale et son désir. Nous trouvons cette idée que le désir nait du manque. Mais cette première trace est irrémédiablement perdue, condamnant l’individu à désirer toujours et encore, sans jamais combler son manque, sans jamais retrouver cette complétude absolue qui n’était que fantasmée. L’analyse consiste à parcourir ce chemin et à s’apercevoir qu’on est seul face à un désir jamais atteignable car irrémédiablement perdu, et à renoncer en partie à cette jouissance océanique.
Dans la mélancolie, le refus de ce deuil de l’objet persiste. Nous pouvons resituer trois notions importantes qui sont la demande, le désir, et le besoin. La demande n’est pas un terme utilisé par Freud mais par Lacan. Elle s’articule avec le manque. La demande porte sur un objet et répond à un besoin alors que le désir répond à une demande d’amour qui est adressée à un autre par l’intermédiaire de la parole. Lacan articule donc la notion de demande d’amour à celle du besoin biologique qui est beaucoup plus d’ordre vital et d’auto conservation.
Lacan disait:  » je parle avec mon corps sans le savoir, et je dis toujours plus que je ne sais. »

À suivre.

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