La place du corps dans l’analyse. Cinq psychanalyses. Fragments d’une analyse d’hystérie : Dora (1905) Écrit en 1899

La place du corps dans l’analyse.

Cinq psychanalyses.
Fragments d’une analyse d’hystérie : Dora (1905) Écrit en 1899.

Séminaire du 5 avril 2016
Isabelle Carré

Je vous propose un bref résumé du texte écrit par Freud, qui nous entraîne dans l’histoire de cette jeune fille viennoise en prise aux comportements amoureux des adultes qui l’entourent, et dans les affres de ses propres découvertes d’adolescente.
Précisons que Freud a soigné le père de Dora d’une infection par la syphilis, alors que Dora avait dix ans, et c’est dans ce contexte que ce dernier en vient à lui confier sa fille.
Dora a manifesté des symptômes assez jeunes. À huit ans, elle souffre d’une gêne respiratoire permanente et de troubles nerveux. A 12 ans elle présente des migraines et une toux nerveuse. À 17 ans, elle tombe malade, elle a une forte fièvre après la mort de sa tante paternelle préférée. À 18 ans, elle a encore régulièrement des toux associée à une aphonie, dont le diagnostic posé est celui d’une « nervosité ». La famille de Dora vit à Vienne. Dora souffre selon ce que l’on nous livre de dépression et de trouble du caractère. Son père décide de faire en sorte qu’elle rencontre Freud, malgré la résistance qu’elle oppose au départ. Il apporte quelques éléments événementiels de départ à Freud: le fait que la famille vit un peu en dehors de Vienne, a noué une amitié intime avec Monsieur et Madame K. Monsieur K a soigné le père de Dora alors qu’il souffrait de tuberculose, et il se montre très aimable avec Dora, se promène avec elle et lui fait des petits cadeaux. ( Il serait déjà catalogué rapidement de nos jours!)
Dora raconte un épisode à Freud: son père et elle devaient rejoindre Monsieur et Madame K dans leur maison de villégiature au bord de lac de montagne. Dora devait rester chez eux plusieurs semaines. Mais lorsque son père repart après quelques jours comme prévu, elle décide de partir avec lui de manière inattendue et précipitée. Elle raconte à sa mère que Monsieur K lui a fait sa déclaration lors d’une promenade. Monsieur K nie, soutenu par sa femme, ce qui jette la suspicion sur Dora.
Dora exige alors que son père rompe avec ce couple, et notamment avec Madame K pour laquelle elle avait une sorte d’adoration. Son père refuse, lui parle de son attachement pour Madame K, de sa peur de lui faire de la peine, il évoque que celle-ci est malheureuse avec son mari. Tout en énonçant son discours, il dénie toute attirance pour Madame K, il parle de leur mutuelle sympathie amicale. Le père de Dora dit d’ailleurs à Freud lorsqu’il lui propose de rencontrer sa fille : « vous savez que ma femme n’est rien pour moi. » Dora raconte au fil des séances à Freud d’autres épisodes, dont la scène suivante, qui a lieu alors qu’elle a 14 ans: Monsieur K, lors d’un séjour de Dora chez eux, l’aurait serrer contre lui, puis embrassée. Dora parle dès lors de dégoût intense toute en niant toute excitation sexuelle. Dora continue néanmoins de fréquenter Madame K. Dora aurait aussi, nous dit Freud, ressenti pendant l’étreinte le baiser, mais aussi la pression de l’érection de Monsieur K.
Mais elle refoule la perception, cette pulsion, et la déplace de la partie inférieure à la partie supérieure de son corps, elle ressent les sensations de pression sur le thorax, elle mange difficilement. Elle a d’ailleurs ensuite horreur de passer à côté d’un homme en tête-à-tête avec une femme.
Cette phobie des hommes en état d’excitation est une façon de se prémunir contre une répétition de la perception refoulée. Dora dira par ailleurs à Freud qu’elle n’a pas pardonné à son père la continuation de ses rapports avec Madame K. Elle parle de relations amoureuses entre son père et Madame K.
Les deux familles ont également en commun un appartement dans un hôtel. Madame K, puis le père de Dora s’installent lors d’un séjour dans les chambres du fond, séparés par un corridor, ce qui enrage Dora.
Son père rend par ailleurs visite régulièrement à Madame K quand Monsieur K n’est pas là et lui donne de l’argent. Il fait des cadeaux et pour se couvrir, et agit d’ailleurs de manière similaire avec sa femme et Dora.
Dora a alors la sensation d’être livrée à Monsieur K, d’être traitée comme un objet d’échange par son père, pour maintenir la complaisance de Monsieur K vis-à-vis de sa femme et du père de Dora. C’est une sorte de manège afin qu’il continue à se taire et à faire comme si de rien n’était. Dora rapporte les propos suivants de son père : « je prends votre femme en vous donnant ma fille », « ce n’est pas parce que sa femme n’est rien pour lui qu’il était dangereux pour Dora » Les deux hommes s’arrangent donc avec leur désir respectif en niant la suspicion qu’ils pourraient avoir réciproquement.
Le père ne semble rien voir de la sollicitation amoureuse de Monsieur K envers sa fille afin de ne pas être dérangé dans ses relations à Madame K. Dora aura d’ailleurs la sensation de s’être rendu complice de son père en le couvrant pendant des années et en ne voulant rien voir non plus. Dora était par ailleurs très attachée à Madame K, et Freud se demande si elle ne couvrait pas la relation de son père à Madame K elle aussi pour couvrir son amour pour Monsieur K.
Il parle d’une identification à Madame K, qui trouve toujours le moyen d’être malade quand son mari rentre de voyage, jolie façon de se soustraire au devoir conjugal.
Dora a, elle aussi, des toux lorsque Monsieur K est absent. Elle montre ainsi par sa maladie son amour pour Monsieur K, comme la femme de celui-ci le fait pour montrer, quand à elle, sa répulsion. Dora est en effet souvent malade pendant l’absence de Monsieur K, et bien portante lorsqu’il est là. Nous remarquons de nouveau que, dans le symptôme hystérique, il y a une liaison entre une expression symptomatique et sa pensée inconsciente. Il y a également une issue dans le corps des processus psychiques inconscients. Le symptôme signifie la représentation d’un fantasme à contenu sexuel ou pas. Mais la signification du symptôme n’est pas univoque, et les significations peuvent changer au fil du temps.
Par sa maladie, Dora cherche également à détourner son père de Madame K, sans doute tout en s’identifiant à elle, dans le désir inconscient de devenir elle.
Par cette situation, Dora est amenée à raviver l’amour œdipien qu’elle a pour son père à l’occasion de l’amour pour Monsieur K réprimé. Elle tente de lutter ainsi contre le nouvel amour qui s’impose à elle.
Enfin ajoutons que Dora a été la confidente et la conseillère de Madame K, dans sa vie conjugale, elle partageait lors de leurs réguliers séjours en montagne la chambre de Madame K. Elle s’est également sentie trahie par Madame K, son amie, qui soutient son mari lorsque Dora l’accuse.
Finalement nous pourrions dire que Dora repère qu’elle n’est pas aimée pour elle-même par Madame K, mais pour son père. De la même manière, elle s’était aperçue qu’elle n’était pas aimée pour elle-même par sa gouvernante, mais parce que celle-ci aimait en secret son père.
Freud est amené à évoquer le parallèle de cette répétition.
Elle se vit comme sacrifiée par Madame K car celle-ci ne voulait pas être troublée dans ses relations avec le père de Dora.
Enfin Dora réprime un amour plus ou moins conscient pour Monsieur K et inconscient pour Madame K. Elle envie au fond à son père l’amour de cette femme.
La place qu’occupe Madame K pour le père, c’est possiblement ce qui provoque le désir de Dora. Cela conduit Freud à écrire que Dora aime d’un désir homosexuel Madame K pour ce qu’elle est supposée savoir, car elle représente au fond ce qu’est une femme.
D’autres part, l’amour de Dora pour Madame K renvoie Dora à l’amour de son père. Elle désire chez madame K la place qu’elle occupe. Dora s’intéresse également à ce qu’incarne Madame K, c’est-à-dire la position féminine. C’est comme si elle considérait qu’elle reçoit, par l’intermédiaire d’une autre, l’amour de son père. Dans le jeu des identifications réciproques entre les différents protagonistes de l’histoire, dans les places amoureuses occupés par chacun deux, Dora cherche la sienne. Elle a déjà identifiée qu’elle est une monnaie d’échange.

Si nous allons un peu plus loin dans l’analyse de ce cas, une phrase prononcée par Monsieur K va réveiller chez Dora une vive réaction. C’est Jacques Lacan qui abordera une nouvelle approche du cas Dora dans son séminaire  » La relation d’objet » en 1956/1957.
Lorsque Monsieur K dit à Dora « ma femme n’est rien pour moi », cette phrase a une répercussion particulière pour elle.
Cela signifie pour Dora qu’il ne s’intéresse qu’à elle, mais en quelque sorte par ricochet que son père ne s’intéresse qu’à madame K. Et cela, elle ne peut le tolérer. C’est un peu comme si inconsciemment elle entendait « une femme n’est rien ». Dora, par cette phrase, est comme assignée à un objet jetable. D’autre part, Monsieur K prive Dora, par cette phrase également et par ricochet, de ce qui était pour elle une identification, puisque Madame K n’est rien non plus.
Enfin, Lacan constatera que cette assertion, « ma femme n’est rien pour moi », phrase récurrente, a donc été répétée trois fois: par le père de Dora lorsqu’il accompagne Dora chez Freud, par Monsieur K à une de ses gouvernantes, qui le répète à Dora, et enfin par Monsieur K au bord du lac. ( page 79) La question autrement formulée, écrit Lacan, pourrait être :
« Si votre femme n’est rien pour vous, qui est donc une femme pour un homme ? »
Nous pourrions dire que Dora a manqué de quelque chose de l’ordre de la féminité, et se met presque en position d’identification à quelqu’un qui révèle cette féminité, elle est au fond dans quelque chose de l’ordre d’une identification mâle. Elle est enfin dans une phase de questionnement sur son identité sexuée, la phase où un certain nombre d’identifications se mettent en place. Ce qui conduit à parler dans la situation de Dora d’une hystérie par identification.
La question qui se pose à Freud dans la toute fin du texte est de savoir s’il s’agit en fait d’un désir inconscient pour la femme de Monsieur K, celui-ci disant par ailleurs que sa femme n’est rien pour lui.
Freud va aussi très justement tenter de lui faire prendre conscience de quelle manière elle a pris part au désordre dont elle se plaint. Freud entame alors un renversement dialectique. Lorsqu’il perçoit qu’elle a rejoué un amour œdipien, il s’étonnera tout de même de la jalousie qu’elle éprouve envers son père. Il dira enfin au sujet de Dora qu’il s’est trompé sur son objet de désir. Il exprime en note : « j’aurais dû comprendre que l’attachement homosexuel à Madame K était la véritable signification de la position primitive de Dora. »
La passion amoureuse de Dora est réveillée par sa quête de savoir. On retrouve régulièrement des passions similaires chez les femmes fascinées par des hommes cultivés, détenteurs de ce savoir.
J’aimerai établir un parallèle avec le jeu des identifications amoureuses. Je pense à un patient qui récemment me parlait du désordre qu’il ressentait à douze ans devant les garçons et qui s’était figuré ce fantasme pour lui incontournable: soit je deviens une fille, soit je meurs d’une maladie. Je modifie volontairement les éléments de cette histoire et les transforment pour ne pas les rendre non reconnaissables. Ce garçon a commencé à s’étouffer et à vomir en mangeant, notamment un jour où sa grand-mère la laissé dormir avec son cousin. Cet événement a coïncider avec une phrase entendue le lendemain de la bouche de cette femme sur les  » odieux homos ».
Il a répété une impossible identification au masculin (qui représente la violence et l’humiliation des femmes dans sa famille, le rejet des femmes aussi.) et une identification féminine qui fait qu’il tente de séduire les hommes comme une femme. Depuis son analyse, il accepte beaucoup plus sa part masculine, sans changer son objet d’attachement.

La pulsion

La pulsion est un concept frontière entre psychisme et somatique, la pulsion naissant comme d’une poussée, pour atteindre un but, en vue d’une satisfaction.

Quelque chose part d’un organe, passe par le corps et le psychisme, la pulsion se définit comme une trace psychique d’un événement corporel. L’objet de la pulsion étant ce par quoi elle se satisfait. Nous ne ressentons qu’un éprouvé de la pulsion, un représentant de celle-ci.

Dès 1915: Freud a parlé de la pulsion comme ayant une énergie dévolue à un objet dans la relation d’objet ou qui reste sur le moi dans le narcissisme. Nous pouvons resituer trois notions importantes qui sont la demande, le désir, et le besoin. La demande n’est pas un terme utilisé par Freud mais par Lacan. Elle s’articule avec le manque. La demande porte sur un objet et répond à un besoin alors que le désir répond à une demande d’amour qui est adressée à un autre par l’intermédiaire de la parole. Lacan articule donc la notion de demande d’amour à celle du besoin biologique qui est beaucoup plus d’ordre vital. La jouissance, quant à elle, se distingue du désir, et même du plaisir. Elle représente un plaisir sans limite, qui dépasse ce qu’un sujet peut contrôler. Elle a une forme d’ambivalence majeure avec la souffrance. Elle per à ce titre être envahissante, massive ou invasive. Le symptôme tente dès lors de border la jouissance tout autant que l’angoisse qui lui est associée. Nous savons déjà combien le symptôme est une barrière poreuse contre l’angoisse, un barrage contre le Pacifique. Le lieu de la jouissance étant le corps.

Reprenons l’analyse du cas Dora des « Cinq Psychanalyses », notamment de ses rêves, au travers de ces notions.

Le premier rêve de Dora.

Dora raconte à Freud au cours de leurs séances un rêve qu’elle a vécu à répétition.

Dans ce rêve, qui s’est produit pour la première fois dans la nuit qui a suivi la scène avec Monsieur K au bord du lac, Dora décrit de manière synthétisée les éléments suivants:  » il y a un incendie dans la maison, elle s’habille vite, sa mère veut sauver sa boîte à bijoux, et son père répond qu’il ne veut pas que ses enfants soient carbonisés à cause d’une boîte à bijoux. Aussitôt dehors, Dora se réveille. » Elle fait ce rêve de manière répétée, elle revoit également une scène où Monsieur K entra dans sa chambre à coucher alors qu’elle dormait, après l’excursion au lac. Elle s’enfermera ensuite les jours suivants pour faire sa toilette dans sa chambre. Monsieur K lui avait également fait cadeau d’une boîte à bijoux. Dans son rêve sa mère refuse un bijou que son père lui offre en lui disant « tu peux en faire cadeau à une autre ». Dora à travers ce rêve adopte trois positions. Elle est prête à prendre ce que sa mère refuse, à donner à son père ce que sa mère lui refuse, enfin à donner à Monsieur K ce que Madame K lui refuse.

Dans ce rêve, elle fuit la tentation, elle réveil en quelque sorte son ancien amour pour son père afin de se défendre contre son amour pour Monsieur K. Au travers de ce rêve, Dora appelle à la rescousse l’amour infantile pour son père, comme une protection contre la tentation actuelle envers Monsieur K. Dans le rêve, d’ailleurs, elle prend la résolution de ne pas rester seule et de partir avec son père. Freud soulève que Monsieur K, le père de Dora et lui-même sont des fumeurs passionnés. Dora elle-même fumait au bord du lac, Monsieur K lui avait roulé une cigarette. Freud pense à la tentation qu’elle a eu d’un baiser de sa part dans le transfert, mais également de Monsieur K. Un baiser qui devait d’ailleurs sentir la fumée. Dans le rêve, il y a un incendie et de la fumée.

De même que dans le rêve, la boîte à bijoux renvoie aux cadeaux que lui avait fait Monsieur K., cette même boîte à bijoux évoque selon Freud l’image des organes génitaux immaculés de la femme, bijou signifiant propre en allemand. Freud associe deux éléments de réalité et des bribes du rêve: Mr K. offre à Dora une boîte à bijoux, et dans le rêve sa mère refuse un bijou que son père lui offre.

Freud en conclut que Dora est prête à prendre ce que sa mère refuse, à donner donc à son père ce que sa mère lui refuse, ou encore par déplacement à Mr K ce que Mme K lui refuse. Dora dans ce rêve met en scène une fuite contre la tentation. Elle cherche également ce qu’un homme aime chez une femme, c’est un questionnement sur l’incarnation de la position féminine. Mr K, lors du séjour de Dora chez eux, s’était introduit dans la chambre de celle-ci, et Dora s’enferme les jours suivants pour effectuer sa toilette. Puis elle perd la clé, et soupçonne Mr K de l’avoir volé. Un autre élément important rappelé par Freud est la toux de Dora, qu’il associe à un symptôme d’identification à son père.

Dora dit: »j’ai un catharre comme lui, je suis la fille de papa, il m’a rendue malade comme il a rendu malade maman. De lui je te tiens les mauvaises passions punies par la maladie. »

Dora savait que son père avait la syphilis, et pensait qu’il lui avait transmise. Freud crée un lien également les pertes blanches liées en faite à la masturbation, et les symptômes de son père.

 

Enfin le désir de substituer son père à Monsieur K est la force motrice de ce rêve.

Elle réveille ainsi un ancien attachement infantile, son père étant coupable du danger actuel auquel elle est exposé, lui qui l’a abandonnée, dans l’intérêt de ses propres amours avec Mme K. La névrose infantile de Dora est donc ce qui structure sa névrose de jeune fille.

Le second rêve de Dora.

 

Au sujet des rêves, Freud explique que certains éléments de la réalité se retrouvent sans modification, représentant le contenu manifeste, dès lors que d’autres éléments métaphoriques se retrouvent réédités, de façon plus ou moins stéréotypée, ce qui signe la répétition et l’insistance de certains signifiants. Freud a pensé qu’il suffisait d’interpréter le contenu latent du rêve pour lever le refoulement. Il reviendra plus tard sur cette notion et sur la question de la résistance des symptômes. Ce qui revient de manière récurrente dans le rêve sont les questions: où est la clé? Où est la boîte? Comme dans le premier rêve, Freud analyse rapidement que ce sont des questions relatives aux organes génitaux et à la sexualité, à ce qu’il nomme une « géographie sexuelle symbolique ».

De même, le thème de la mort est aussi persistant. Le rêve ayant « la faculté du rêve de réaliser des désirs » explique pour Freud la mort de tous les proches de Dora dans le rêve. Elle peut ainsi aimer et désirer à sa guise.

Enfin, il décrit ce qu’il appelle un symptôme hystérique classique. Dora a déclenché une prétendue appendicite à la mort de sa tante. Un oncle ne pouvait pas venir car son propre fils souffrait d’une appendicite. Dora a ensuite traîné le pied droit longtemps après cette appendicite. Elle s’était en fait fabriquer une maladie dont elle avait lu la description dans un dictionnaire. Freud ne néglige pas la part organique de certains symptômes pour autant. Il repère tel un détective traquant des indices, que l’appendicite survient 9 mois après la scène du lac, qu’il associe donc à un fantasme d’accouchement et donc un fantasme de défloraison par Monsieur K.

Freud revient sur les termes employés par Monsieur K. lors de la scène au bord du lac, lorsque celui-ci tenta d’embrasser Dora, qui le gifla. Il employa ces mots:  » vous savez que ma femme n’est rien pour moi. » Dora se souvient alors qu’une gouvernante lui avait déjà rapporté ces mêmes mots, sortis de la bouche du même homme. La gouvernante des enfants de Mr K lui raconte cette scène quelques jours avant la scène du lac. Mr K l’avait courtisée, lors d’une absence de sa femme, puis laissée tomber. Cette gouvernante lui vouait une haine féroce, avait tout avoué à ses parents, puis avait fini par prendre congé. C’est donc pour Freud cette phrase qui détermine le geste de Dora, la gifle. Lorsque Monsieur K prononcé cette phrase déjà entendue par Dora, celle-ci le gifle  » pas parce ses sollicitations l’ont offensée, mais par vengeance jalouse. » ( page 79)

Nous avions déjà noté que lorsque Monsieur K dit à Dora « ma femme n’est rien pour moi », cette phrase a une répercussion particulière pour elle. Cela signifie pour Dora qu’il ne s’intéresse qu’à elle, mais en quelque sorte par ricochet que son père ne s’intéresse qu’à madame K. Et cela, elle ne peut le tolérer. C’est un peu comme si inconsciemment elle entendait « une femme n’est rien ». Madame K, la gouvernante et elle-même ne sont rien. Dora se trouve donc identifiée également à une gouvernante, ce qui l’a blessé dans son amour-propre. D’autant que pour Freud, elle aurait pu entendre son propre père parler ainsi de la mère de Dora à Freud. Elle-même va tout raconter à ses parents, comme la jeune gouvernante l’avait fait. Ce qui conduit à parler dans la situation de Dora d’une hystérie par identification. Ce rêve permet enfin à Freud d’aborder la question du transfert et de la répétition, car Dora revit la même situation à son égard qu’elle a vécu envers Monsieur K, d’où la répétition de ce rêve.

Enfin, Freud définit les premiers termes de la notion de névrose de transfert, puisqu’il dit que « la productivité de la névrose n’est pas éteinte et s’exerce en créant des états psychiques particuliers inconscient qu’il appelle transfert, comme une copie des fantasmes qui vont être réédités dans le lien à l’analyste, et produire un effet cathartique. Le catharsis est une remémoration affective et par la parole, qui libère les émotions attachées à un événement, En grec, cela signifie séparer le bon du mauvais.

« Toutes les tendances, même, et surtout celles hostiles, doivent être réveillées, utilisées pour l’analyse en étant rendues conscientes ». ( page 88) Le transfert est tout autant pour lui au service qu’obstacle à l’analyse. Dans le rêve, Dora va rejouer son désir de vengeance envers Monsieur K. sur la personne de Freud dans le transfert, ce que Freud va comprendre, mais seulement à posteriori. Elle se venge donc ainsi de Freud, comme elle voulait se venger de Monsieur K. Elle répète la scène jouée avec Mr K, elle abandonne Freud, elle interrompt son analyse, elle prend congé de Freud. Dans le premier rêve déjà, Dora prévenait qu’elle voulait abandonner le traitement comme elle avait abandonnée la maison de Monsieur K.

 

Dans le second rêve, Dora cache également à tout le monde que c’est Mme K qui lui a appris les  » choses de la sexualité » dont elle sera accusé par la suite. C’est pour Freud un élément concordant avec l’amour qu’elle éprouve pour Mme K. Ce qui provoque le désir de Dora, c’est la place qu’occupe Mme K pour lui.

Freud saisit un peu tard que c’est cet élément non entendu qui l’induit en erreur et amène Dora à partir. Quinze mois après la fin du traitement, Dora revient pourtant vers Freud, pour lui demander de l’aide suite à une névralgie. Dora rendit une dernière visite à Mme K, alors qu’ils ont perdu un enfant. Elles se vengent du couple en disant à Mme K qu’elle sait qu’elle a une liaison à son père, et força Mr K à avouer la scène du lac, comme moyen de les sortir de sa vie.

 

Écoutant récemment le passage d’une émission radiophonique sur  » la psychosomatique », j’ai trouvé édifiant d’entendre combien nous entendons parler dans notre actualité moderne de psychosomatique ou de stress, de stratégies d’adaptation, mais dans un effacement des liens avec la parole, des répétitions, de l’inconscient. Même si les histoires d’analyses de Freud ont un goût parfois suranné et semblent répondre aux besoins de ses découvertes et démonstrations, il n’en reste pas moins qu’il a le mérite de ne fermer aucunes possibilités, et de ne pas donner d’interprétation univoque.

Toutes les thérapies dites dynamiques ne prétendent pas se substituer à la psychanalyse, fort heureusement. Mais c’est pourtant une fâcheuse tendance de fonctionner sur un mode binaire du « ou/ou », plutôt que d’associer les intérêts mutuels de ces disciplines entre elles. Penser résoudre le stress en projetant la responsabilité en dehors de soi, ne permet pas de se réapproprier sa place de sujet et les mécanismes inconscients et intrinsèques à la personne. C’est un risque plus que dangereux qui incite à activer chez le sujet ses noyaux interprétatifs et projectifs, plutôt qu’à chercher la source même des répétitions. C’est presque une modalité défensive contre l’idée même que le sujet est structuré dans sa névrose par des symptômes, qui sont eux-mêmes une barrière contre l’angoisse. Ou encore une belle manière de nier le manque, le vide de sens en se raccrochant à des causes externes.

 

 

 

 

 

 

 

 

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