Sur deux écrits de Daniel Bartoli

Nizar Hatem – Novembre 2020

Voilà réunies deux interventions portant sur deux livres de Daniel Bartoli, Les passagers du Réel, pour un traitement possible de la psychanalyse et Cinq questions aux psychanalystes[1], tous deux publiés aux Editions des Crépuscules.  Daniel Bartoli, psychiatre de formation qui a longtemps exercé en institution, et psychanalyste, nous offre de façon condensée quelques traits marquants d’une réflexion sur sa pratique auprès de patients ou d’analysants, autant que sur sa participation au mouvement psychanalytique…

Certes, l’exercice de la présentation exigeait une tournure qui marque d’une certaine façon ces deux écrits ; mais, au-delà des limites propres à l’exercice, ces présentations visent à relever pour qui ne les a pas lus, les points saillants des deux livres et leur façon originale d’alimenter la pensée sur quelques problèmes cruciaux pour la psychanalyse contemporaine. Il y est apparemment question de certaines marges de la psychanalyse, marges supposées de sa pratique, avec la psychose, marges de la mythologie œdipienne, marges de son insertion culturelle, avec le problème de l’excision, et marges anecdotiques du mouvement psychanalytique… Bartoli nous montre que, de ces bordures parfois reléguées, notre pratique même de l’inconscient doit nous amener à considérer le dessin avec l’attention la plus aigüe.

 Les présentations sont insérées dans l’ordre chronologique de l’écriture des ouvrages de l’auteur, qui est l’inverse de celui dans lequel je les ai écrites. Il m’a en effet paru, dans l’après-coup, qu’il y avait une logique à l’œuvre dans l’écriture de l’auteur et qu’il y avait là sans doute à saisir une possibilité de mettre les temps de cette logique en lumière. L’auteur part d’une réflexion apparemment éparse sur certaines apories du mouvement psychanalytique concernant le féminin et l’idéalisation paternelle pour aboutir, dans son deuxième livre, à la possibilité d’ouvrir un espace psychanalytique en prise avec la psy-chose. A défaut de l’expliciter complètement, la succession des deux présentations en un même texte pose au moins la question de l’articulation logique qui les associe.

  1. Une lecture de Cinq questions aux psychanalystes

Nous découvrons avec la lecture des livres de Daniel Bartoli un trublion vivifiant de la pensée psychanalytique et ce premier ouvrage en est l’illustration. Il y a dans son écriture quelque chose de jubilatoire, une manière de nous inviter à la hauteur d’une rive singulière pour aborder un continent prétendu noir. Et puisque l’auteur a débuté sa formation de clinicien à Dakar, peut-être y a-t-il du sénégalais dans l’altière altérité de cette voix, altérité dont ce commentaire va tenter de restituer quelques couleurs. En effet, sans doute faut-il en passer par une autre rive, d’autres langues, pour déceler dans celles que nous parcourons chaque jour l’ombre de ces intraduisibles qui n’éveillent plus nos sens, endormis que nous sommes par la dénégation, le déni ou la forclusion.

A propos d’intraduisible, la préface d’Anouk Cape nous oriente sur l’impensable ravage de l’archaïque. Cape cite une ancienne réflexion de Lacan qui affirme que derrière l’œdipe il y a encore autre chose et que « si les noms mythologiques [de l’oedipe] nous font défaut ici pour le caractériser, c’est peut-être que cette mythologie est celle d’une civilisation patriarcale » et qu’ « au fond des légendes des civilisations matriarcales c’est peut-être l’image terrible de l’Ogresse, de quelque Baal ou Moloch maternel que l’on rencontrerait».

Cette citation du Lacan d’avant Lacan[2] dit assez les modes de contournement que prend parfois la pensée pour déjouer les obstacles du déni. Faut-il avoir recours aux mythes phéniciens ou carthaginois pour parvenir à saisir ce qui est pourtant explicite dans celui d’Œdipe, dans la figure de Jocaste, et qui n’est ni recouverte ni effacée pour qui prend la peine de  la distinguer ? J’ajouterai en guise d’introduction à ce commentaire, que par-delà le maternel à quoi l’on ne saurait réduire Jocaste, cet ouvrage nous fait entendre une variation sensible sur le féminin et la différence des sexes.

Pour entrer en matière, notre attention est attirée sur l’assertion fameuse de Freud, réitérée sur le mode dénégatif, « qui vaut alerte »  pour nous aujourd’hui, que la psychanalyse « n’est pas une conception du monde ». Car cette assertion, qui passe sur le mode de la dénégation, pourrait être un des germes premiers de l’illusion actuelle de la psychanalyse comme conception du monde et de «  la pente sectaire, voire politique, où se complaisent les psychanalystes ». Or ce jeu d’affirmation/dénégation ne serait pas nécessairement à récuser, mais pourrait s’interpréter en restituant à cette conception du monde la propriété d’être fugace, comme l’éclat biface d’une interprétation[3]. La psychanalyse, nous dit Bartoli, est une illusion, donc- ou parce que – elle est une vision du monde[4]. Or le fantasme façonne les illusions et donne son cadre à la réalité pour le sujet, à l’insu du sujet. Retrouvons donc, à côté de l’œdipe, les quelques fantasmes prégnants pour la psychanalyse et les psychanalystes débusqués par Bartoli.

Si dans son acception contemporaine l’explicitation du fantasme œdipien consiste à articuler le désir de l’enfant pour sa mère et son vœu parricide, une autre perspective s’ouvre à la lecture attentive de ce passage troublant de l’Œdipe de Sophocle, qui fait dire à Jocaste 

« ne redoute pas l’hymen d’une mère, bien des mortels ont déjà dans leurs rêves partagé le lit maternel ». p34

L’auteur souligne l’occultation du point de vue des parents par le récit -dont c’est peut-être la fonction-point de vue fondateur pourtant de l’épopée œdipienne. Si le mythe œdipien met en scène le désir de l’enfant et son intention meurtrière, il met encore plus essentiellement en scène le désir inducteur du parent, et son intention fondamentalement meurtrière, assurément pourvoyeuse d’un traumatisme initial[5]. Bartoli, très ironiquement, met en avant ce qui est tant passé sous silence, y compris par les psychanalystes :

«  le versant parental de l’Œdipe met en scène des géniteurs potentiellement assassins de leur enfant et dans les faits : pédophiles !» p35

Cette trouvaille d’une évidence effacée se trouve confirmée par d’autres citations de Jocaste s’interposant entre Œdipe et Créon, quand elle dit à l’oncle et au neveu:

«  malheureux qu’avez-vous à soulever ici une absurde querelle de mots ! »

Et

«  ne faites pas d’un rien une immense douleur ! ».

Il est manifeste ainsi que « l’Œdipe réussit en tant que les protagonistes obéissent à un commandement. » p35 et que le dialogue de Jocaste avec Œdipe montre la détermination désespérée de la mère à faire le silence sur son désir[6], détermination que le lecteur contemporain semble avoir suivi docilement :

« « et qu’importe de qui il parle ! [ il s’agit du berger compatissant qui laisse à l’infans la vie sauve.] N’en aie nul souci. De tout ce qu’on t’a dit, va, ne conserve même aucun souvenir. A quoi bon ! » et « je sais ce que je dis, va, mon avis est bon. », enfin «  Ah ! Puisses-tu jamais n’apprendre qui tu es ! » qui précède de peu son suicide, lequel dit assez par sa brutale évidence la part de fomentation que Jocaste connaît dans le montage tragique : elle en est le centre actif. » p36

A l’évidence, il ne s’agit pas tant de trouver dans ces récits mythologiques la clé pour déchiffrer la vérité qui nous échappe, mais bien de s’en servir de révélateurs de l’aveuglement acharné de leurs lecteurs et commentateurs contemporains… en somme, c’est la lecture qui est révélatrice par ses angles morts, ses taches aveugles et ses caviardages, bien plus que le texte.

Cette réflexion de Bartoli sur Jocaste conduit à considérer nouvellement un autre parent pauvre de la mythologie œdipienne, Tirésias, dont on pourrait se dire que, depuis le début, il prend le parti de l’homme à l’encontre de la femme, ce qui aboutit à le féminiser. Tirésias, n’est pas oracle, mais il a un savoir sur la jouissance que les autres n’ont pas. S’il ne fait pas la promotion du refoulement, il se montre prudent quant à sa divulgation. Tirésias a interrompu un rapport entre serpents, il intervient dans une querelle conjugale… Ces interruptions provoquent chez lui le changement de sexe, la cécité et le don de divination. Cela pourrait sans doute éclairer, dans la fomentation œdipienne du tragique, la clinique du changement de sexe par celle de la quête d’un savoir refoulé. Aurait-elle un rapport avec une clinique de la psychanalyse en tant que savoir sur la jouissance ?

Autre interrogation sur la différence des sexes et surtout les différences sociales qu’elle détermine- Bartoli aborde le traitement différent de l’excision et de la circoncision par le discours contemporain occidental, y compris chez les psychanalystes. La circoncision est ordinairement considérée avec mansuétude, et, à défaut, avec indifférence, quand il est rare que l’excision ne soulève l’indignation. A l’horreur ordinaire des psychanalystes pour toute atteinte à l’intégrité du corps (à l’exemple des scarifications ou à leurs avatars apprivoisés comme les piercings, tatouages et autres modifications corporelles dont sont férus les adolescents de nos jours) cette indignation additionne une répulsion aux connotations culturelles difficiles à ignorer. Ainsi  la question suivante se pose :

« pourquoi deux traitements si opposés pour des pratiques toutes deux d’un autre âge et tout aussi agressives, qui attentent au corps de l’enfant, et, qui ressortissent d’idéaux que la psychanalyse aurait rangés au rancart des illusions fondatrices d’aliénation ? » p40

Dans son texte, Bartoli nous montre précisément en quoi le traitement est frappant par sa différence sur ces deux opérations qui indiquent, par la continuité de leur signification de représentation imaginaire de la castration, une forclusion du symbolique et un effacement de la différence des sexes dans ce registre.

Rendant justice à l’infiltration identitaire dont pâtit l’abord différencié de ces rituels dans la pensée occidentale, Bartoli réoriente l’analyse sur une certaine fétichisation de la différence des sexes à travers le discours porté sur l’excision et la circoncision, fétichisation qui opère comme un déni de la forclusion[7].

Mais en conclusion, ce chapitre effectue un pas de côté qui creuse la lecture pour jeter un éclairage inédit sur l’ensemble de la question en inscrivant spécifiquement l’excision du côté d’un traitement meurtrier du féminin- et faire retour à Jocaste :

« L’agression systématique du corps des femmes, l’attentat spécifiquement génital, l’amoindrissement de leur statut, la pérennité de leur humiliation, relèvent de la vengeance  de l’enfant masculin ou féminin , qui, parvenu à  l’âge adulte, exerce aveuglément sa puissance dans une proportion au moins égale à celle de ses persécuteurs initiaux, au premier rang desquels ses parents, et singulièrement sa mère. La tradition n’est que le masque ritualisé de ces comportements vengeurs, juste rétorsion à l’égard de l’ancienne toute puissance maternelle. » p41

Ainsi, ce qui permet au complexe de Jocaste de prendre toute son ampleur, à l’ombre d’Œdipe, de nourrir son efficacité de l’ignorance dont il fait l’objet, serait sans doute la passion paternelle qui anima jusque-là la culture dans laquelle nous baignons. Bartoli en retrouve les  traces, bien connues, dans ces propos de Freud sur sa réaction à la mort de son père, dont il tire raison pour étendre à l’univers une vérité qui aurait plus justement résonné s’il en avait assumé sans ambivalence la singularité subjective:

« l’événement le plus significatif, la perte la plus radicale intervenant dans la vie d’un homme » (deuxième préface de l’Interprétation des Rêves, cité p43).

Et Bartoli se demande si tel ne serait pas le prix, très cher, payé pour la découverte freudienne :

« L’effraction-découverte des lois de l’inconscient a-t-elle fait retour sous la forme de cet intraitable refoulé érigé en statue du commandeur ? (…) le prix à payer pour sa découverte a été cette limite du père idéal, figure dans laquelle, plus tard, à la fin de sa vie et de son œuvre (…) il pourra reconnaître l’infantile dans la nécessaire fabrication de dieu. » p45

Avec le concept du Nom-Du-Père Lacan fait un pas de plus, mais un pas qui reste encore trop marqué de l’exception imaginaire liée au statut viril de la fonction du père dans la culture occidentale :

« Lacan donne avec la psychose un début de réponse, peu suivi d’effet, à ce procès d’idéalisation de la figure paternelle. Il installe au principe de la structuration du sujet un signifiant majeur (le signifiant du Nom-Du-Père au lieu de l’Autre) lequel, forclos, produit la débâcle signifiante et le désordre au plan des signifiés et des significations. Il passe ainsi du registre imaginaire à celui du symbolique, le réel de la clinique permettant ce passage. » p46

Mais ce réel de la clinique qui montre de manière évidente que, pour certains, la fonction paternelle a failli, loin d’être l’exception qui confirme la règle, pourrait bien être

« la preuve qu’elle est faillible pour tous, et que le signifiant majeur ne lui est pas spécifiquement consacré. » p46

… Ou comment passer du Nom du Pater à la patère du nom, ce qui du nom permet d’accrocher les oripeaux du sujet. Voici que nous est proposée une dévirilisation de la fonction dite paternelle, et elle prend l’exemple de l’islam, dans lequel dieu n’est pas une référence virile paternelle. En termes contemporains, l’on pourrait aussi proposer que les fonctions parentales ne supportent la distinction de genre que de façon artéfactuelle. Ce centrage de la théorie sur la fonction symbolique inscrite par le nom au détriment du père qui peut lui être associé, paraît crucial et nécessaire pour rendre compte de l’évolution contemporaine de la subjectivité.

En conséquence, Bartoli nous montre que les prétendants à une pratique psychanalytique peuvent très bien, à travers leurs agissements, se trouver aliénés dans une réitération qui se réfère tant aux origines forcloses du mouvement psychanalytique qu’aux fantasmes qui organisent le lien social dans la culture patriarcale en particulier. L’auteur laisse entrevoir ce mécanisme qui associe structurellement Jocaste à l’ombre du père idéal et viendrait menacer le mouvement psychanalytique d’étiolement, voire d’éclatement. Il le désigne par une de ses conséquences les plus dévastatrices.

P50 : « Des pratiques sexuelles ont lieu dans le cadre de cures psychanalytiques… symptôme actuellement sensible de cette dérive, l’institution psychanalytique le banalise et donc l’autorise ».

Or cette stratégie de banalisation coûte cher :

P 54 : « Ce point d’aveuglement et de surdité est décisif pour l’avenir de la psychanalyse, tout simplement pour son mouvement. Point d’accord pour tous les groupes analytiques, son occultation produit un immobilisme mortifère. C’est à ce point que se nouent les apories de la pratique, donc de la théorie. Ainsi le terminable ou l’interminable de la cure se décide-t-il à cette croisée des chemins où l’oracle, répétitivement se réalise. »

S’oublie dans cette banalisation le statut du sexuel comme agir d’exception, agir paradoxalement associé au maintien de la figure du père idéal, noué à sa déchéance, alternance vouée à la réitération, là où Bartoli indique la voie d’une psychanalyse qui mènerait à la caducité de cette alternance et qui se passerait de la restauration de l’idéal. Or si le passage à l’acte sexuel reste le paradigme d’un traitement transférentiel dévastateur pour la psychanalyse et sans doute pour ceux qui s’y livrent, il n’en représente pas moins la variante extrême d’autres passages à l’acte, ou poussages à l’acte du praticien, plus discrets, car moins colorés, mais sont-ils moins ravageurs ? Et faudrait-il distinguer, à la manière d’un théologien, les ratages véniels, des agissements mortels pour la fonction psychanalytique? Dès lors, comment s’extraire de la fausse alternative qui consiste à choisir entre complicité et dénonciation, entre déni et inquisition, déchéance et restauration ? Les deux semblent former ce couple de vecteurs de sens opposé qui s’accordent parfaitement pour faire tourner le moulin de la perversion patriarcale[8] et de sa morale, ou comme deux bêtes sous le joug, qui font girer, planté à mi-chemin entre elles, l’axe de la jouissance incestueuse. Notre position se trouverait prise en étau entre ces deux vecteurs, deux injonctions, deux feux surmoïques: l’impératif de jouir, l’injonction de ne pas jouir, tous deux ravageurs pour le désir et son élan vital.

Ces impasses du mouvement psychanalytique et les secrets qui verrouillent ces impasses sont épinglés dans le dernier chapitre à un autre secret situé à son départ[9], conjoignant l’événement à la structure. Ce secret serait en rapport avec la création par Freud du Comité dit des Sept «  qui est au principe d’une direction occulte du mouvement psychanalytique »… 

« Le propos du comité, composé de proches de la personne de Freud, cette proximité valant initiation, a été d’installer sinon une organisation, du moins le fantasme d’un pouvoir supérieur, individuel et collectif, aux procédures institutionnelles. » p55

Or cette première organisation pourrait bien avoir marqué le cours du mouvement psychanalytique bien au-delà de ce qui est admis, car :

 « rien n’est plus efficace qu’un secret à l’origine pour fomenter des scissions à l’infini. » p56

Cette société secrète,

« disparue, engloutie voire forclose, la voilà qui ressurgit régulièrement, fondant à nouveau une et des sectes dont le secret d’origine reste inaccessible mais actif, et toujours à l’œuvre dans les profondeurs. » p57

Ce rapt occulte du pouvoir dans les institutions psychanalytiques porte à conséquences, jusque dans la pratique. Car, après tout, si ces jeux de pouvoir et d’érotisme se limitaient aux membres des associations et ne franchissaient pas le seuil des cabinets pour y pénétrer, la fonction du psychanalyste en serait épargnée- pour sa personne, ce serait une autre affaire, mais son affaire. Or c’est bien de la qualité de l’acte analytique qu’il est question et non de la personne qui dit soutenir cette fonction. Avec cette première conséquence, assez caractéristique de la transaction incestueuse et de ses méfaits, qui est que la nécessité du secret, de la parole tenue et retenue, incombent, dans une version dégradée, à l’analysant plutôt qu’à l’analyste, qui dès lors déchoit irrémédiablement de sa fonction. Aussi, pouvons-nous penser que « le vertige de l’analogie » entre lit et divan, surgit-il dans certaines situations transférentielles qui nécessitent ce moment périlleux qui fait de l’analysant le protecteur imaginaire de son analyste défaillant, moment périlleux dans lequel l’analyste doit à son désir d’explorateur de l’inconscient de poursuivre la traversée, lié à son fauteuil, comme Ulysse à son mât.

Sur ces liens salutaires, Bartoli propose quelques indications à contrepente, exploitant les angles morts de la conduite des institutions psychanalytiques: à l’opposé de l’extra-territorialité parfois revendiquée par les institutions psychanalytiques, et qui semble le corollaire de la « sectarisation » de la psychanalyse, Bartoli insiste sur la nécessaire élaboration « d’un appareil juridique organiquement articulé au système ambiant» car « l’école se situe dans le champ social qu’elle et qui l’anime, faute de quoi son isolement est susceptible naturellement de l’organiser en secte » qui, sous prétexte d’extra-territorialité, se situerait donc hors des lois ordinaires de la déontologie. Mais allant encore ailleurs, sur un autre terrain, celui de ce qu’il appelle les lois de la clinique, Bartoli propose une issue plus modeste d’allure, mais sans doute d’une portée plus efficace, et qui porte autrement à conséquence (p59) : « C’est peut-être à partir d’un retour au poids du cas, du devoir rendre compte des cures psychanalytiques au titre d’une obligation institutionnelle généralisée et permanente, que pourra se construire un dispositif d’analyse portant sur le fonctionnement de l’Ecole et ses rapports avec le corps social. Il y a urgence à inventer et établir le praticable adéquat pour la publication de l’expérience psychanalytique élevée à la dignité du témoignage. Publier serait l’exigence heuristique susceptible de faire pièce aux trois passions qui fondent pour l’analyste l’horreur de son acte : l’amour, la haine et l’ignorance».

  • Les Passagers du réel, passeurs d’intraduisible

Avec ce livre de Daniel Bartoli, Les Passagers du réel[10], nous avons affaire à un objet littéraire particulier, qui ne tient pas de la prose psychanalytique ordinaire, orthodoxe, puisque son écriture implique de se déprendre des concepts établis pour en proposer, en inventer de nouveaux, non dans l’idée que les nouveaux concepts s’approcheraient de la vérité, représenteraient un pas de plus, tangentiel, vers une vérité définitive qui serait l’objectif du savoir clinique comme elle serait l’objet de la recherche scientifique, mais bien dans l’esprit d’un renouvellement conceptuel fondé sur une écoute attentive et poétique des cahots de la pensée des psychanalystes, mais surtout du chaos de la langue des analysants. Ce renouvellement revendique un statut d’éphémère, attenant à la vérité inconsciente, qui reste le meilleur gage de vie pour une pensée en recherche et un style qui laisse une trace.

Daniel Bartoli aborde dans son livre le traitement réservé à la psychose. En guise d’entame, son texte donne à entendre les différentes écritures possibles de son signifiant, donnant à sentir ainsi les mailles serrées de la camisole nosographique et de l’acception médicale. Ce jeu invite le lecteur à faire circuler plus librement le signifiant dans la pensée et à rendre à la psy-chose sa valeur de chose psy par excellence, «au plus près de l’origine», et qui nous cause bien au-delà de ce que nous voulons en entendre.

Ce point central du propos se donne en condition préliminaire aux développements qui suivront : la psychose est commune à tous, quand la névrose ne l’est pas. Elle est commune à tous, et l’attribuer à l’autre reste la façon la plus sûre de lui donner voix : « nous les fous on sait bien que notre dinguerie elle est à l’extérieur, chez l’Autre, à l’affût !… ».

Dès lors, rencontrer la psychose provoque l’angoisse, comme la rencontre d’une vérité sur soi que l’on préfère maintenir dans l’oubli. De ce renversement procède un certain nombre de mises au point. Et tout d’abord sur une distinction : l’angoisse reste l’apanage du névrosé, comme le signal d’un intraduisible qui le concernerait -trace d’un effroi autrement plus radical, quand le psychosé navigue sur une houle d’effroi, qui se creuse parfois en abîme. Cet écart entre l’angoisse et l’effroi s’offre comme un lit, un sillon pour l’écriture du livre, et cette écriture entame quelques ornières du mouvement psychanalytique.

Car Daniel Bartoli dit de ce mouvement qu’il est « ruiné dès l’origine, comme à chacune de ses étapes par les questions successorales qui l’ont structuré,  figé dans ses divisions » et que de ce fait « il s’est trouvé dans l’incapacité de recevoir  les tentatives d’aller vers l’inconnu » qu’implique la pratique analytique avec la psychose. Sans doute que la psy-chose ouvre grand la béance des origines et du rapport à la langue, là où les guerres de succession raffermissent les refoulements de la névrose et l’aliénation aux signifiants hérités, dont la valeur d’innovation subversive  se trouve encalminée, échouée- sur les grèves d’une passion filiale qui ne dit pas toujours son nom. Une bonne part de l’histoire du mouvement psychanalytique l’illustre assez. Cela suggère que l’expérience de la passe fut convoquée par Lacan pour déjouer l’aliénation filiale, qui sévit aussi chez les psychanalystes dans ce qu’elle a de plus imaginaire. De la passe était enfin attendu qu’elle montre « ce qu’il en est du temps où le sujet analysant dans son passage à l’exercice du « désir de l’analyste » fait l’expérience du réel, témoigne dans le « désêtre » de la proximité d’un éclair de l’ordre de la psychose, conserve le statut d’une question ».

Daniel Bartoli revient sur un autre apport lacanien, où Lacan- celui des débuts, préconise le recours à une psychanalyse du moi dans sa thèse sur la psychose paranoïaque[11]. S’indique ainsi que de la psychanalyse des psychoses au dégagement du désir du psychanalyste, Lacan boucle un parcours. Par la relance de cette proposition de psychanalyse du moi, se trouve rétablie la valeur d’un accès à la subjectivité par la spécularité, par le miroir et l’image, l’espace et le mouvement, et au dernier terme, l’écriture dans ce qu’elle permet de renouer entre ces dimensions et le symbolique.

Daniel Bartoli insiste donc sur ce que tout le monde sait mais s’évertue à refouler, oublier et ré-oublier avec une ingéniosité infinie- psychanalystes compris. La culture repose sur tout ce qu’elle élabore pour fomenter cet oubli de « la langue fondamentale » de la psy-chose et en réitérer le geste, y compris dans ses phénomènes les plus morbides, parce que « la rencontre du fou est bouleversante et se produit dans l’angoisse du surgissement de ce magma originaire commun à tous » et que « tout homme pour son départ s’arrache de cette terre-mère primordiale aux confins de laquelle se parle la « langue fondamentale »,… patrie commune dont il est exilé ». Et de ce drame de la folie, Daniel Bartoli  écrit ces si belles phrases, et justes : « l’insensé représente un espace-temps que chaque homme a connu et qu’il entend bien  ne pas retrouver car il a réussi, croit-il, à s’extraire du magma. La preuve est le traitement que les sociétés lui réservent. (…) Il est mis à l’écart parce qu’il inquiète : son rapport au chaos primordial est un dévoilement… contagieux ! »

Sur le traitement classique du fou, témoin dans son verbe de cette langue fondamentale que tous s’efforcent d’oublier, Daniel Bartoli avance enfin qu’ « il s’agit in fine de convaincre le patient de son erreur par la traduction de son discours et le déni de sa production. L’issue est sa mise à l’écart par des procédures qui consistent en diverses modalités de forçage pour la dissolution d’un dire qui signe la retrouvaille et la proximité du chaos primitif.»

Voilà le propos du livre : il ne s’agit pas de traduire le discours du fou, ni nécessairement d’inviter le sujet à en produire une traduction, mais, dans un temps premier en tout cas, d’en saisir les traces dans ce qu’elles ont d’intraduisible, et, pour cela, Daniel Bartoli forge quelques concepts à même d’ouvrir la pratique au repérage et au recueil de ces traces.

L’auteur introduit donc de nouveaux concepts pour articuler l’accès au réel dans lequel nous précipite la psy-chose, et formule ainsi une précision sur les corollaires de la forclusion qui « à, partir du mécanisme de l’actuation produit des formations moïques composés d’éléments issus de l’inconsistance du moi et de la tentative de sa construction ». Ce sont des formations imaginaires, imagiaires, miraginaires, dont la dialectisation symbolique n’est pas accessible au sujet. Les premières de ces formations, Daniel Bartoli les nomme actômes, qui, par opposition aux symptômes  « excèdent l’ordre du discursif » et sont « situées dans le versant de l’agir, voire du geste, mieux du mouvement ». C’est dans le prolongement de l’actôme que se situe le sinthôme lacanien, comme sa possible réussite.

Et, surtout, c’est dans l’actôme que « s’actualise une situation non dialectisable, vouée à se reproduire inlassablement, sans fin ni commencement et sans autre issue que l’agir… les formations moïques en sont le matériau ; hors symbolisation elles en composent le discours muet dont ne subsistent qu’un rythme intraduisible et l’irruption dans l’actuel du chaos premier… ». Nous citons volontiers cette phrase toute en paradoxes apparents, mais qui donne indice de la logique à l’œuvre, puisqu’elle associe le non dialectisable, hors symbolisation, au pourtant discours muet, dont ne subsistent qu’un rythme intraduisible, et à l’irruption dans l’actuel du chaos premier

Mais en plus de ces agirs inacceptables et indigestes pour la raison de «l’état compatible »- les « névrosés » et les « pervers » compatibles avec les normes de la vie sociale- Daniel Bartoli invite à la table du lecteur spectres et fantômes, indiquant ainsi la proximité entre la psy-chose et certaines manifestations de l’infantile. Le fantôme donne forme imaginaire au réel et confronte le sujet à son actuel, manifestant l’essai manqué de donner consistance au double spéculaire du sujet. Il «est la présentation hallucinatoire, sensitive, visuelle ou auditive de la confusion chaotique. Perception sans frontière c’est-à-dire à la fois endogène et exogène liée au mécanisme de projection : présence sans forme, sans incarnation possible qui trouble jusqu’au sentiment d’altérité. A l’extrême, l’absence de forme dans le miroir, pure négativité, manifeste un actuel et brûlant appel à la représentation». Il y a donc un défaut complet de spécularité dans la présentation de ce double, et, de façon radicalement méconnaissable, « le fantôme est constitué par le moi et à partir de lui (…) le bien-nommé revenant n’est que la présentation de « l’Autre primitif », double des temps obscurs rencontré au sein des pulsations du corps maternel : jumeau indistinct ou placenta, premier autre secourable, nourricier et protecteur, premier doudou englobant, compagnon indissociable jusqu’à sa disparition silencieuse et brutale qui confine à l’effacement… ».

Aussi est-il juste qu’après avoir fait tourner la table, et l’avoir renversée, Daniel Bartoli décrive les rouages de l’actuation,  mécanisme qui structure chacune de ces formations, actômes et fantômes. L’actuation donne « l’ébauche d’un récit propre à former le sujet. (Son) opération agglomère à l’actuel des évènements du passé archaïque. Le vécu du présent s’exprime par des formations décisives résultant de l’irruption pulsionnelle actualisant un matériel forclos. (…) Ainsi deux évènements séparés par le temps se trouvent coagulés en un seul qui s’exprimera dans l’incandescence de l’agitation ou le gel de l’immobilité, rendant impossible le déroulement d’un récit. ».

En effet, pour se dérouler et se tenir, le récit nécessite un repérage temporel. Et, précision cruciale dans le texte de Bartoli, cette disposition particulière de l’actuation se déploie à l’encontre d’une constatation freudienne concernant le fonctionnement ordinaire du psychisme, pour lequel  « la conscience et la mémoire s‘excluent mutuellement ». De cette extraordinaire constatation du fondateur de la psychanalyse, Daniel Bartoli cite deux autres versions, qui méritent d’être reprises ici pour bien appréhender l’apport original de son propos sur l’actuation : « mémoire et qualité qui caractérise l’état conscient s’excluent l’une l’autre dans les systèmes psy » et « le conscient surgit en lieu et place de la trace mnémonique ».

Il n’est pas inutile de commenter ce propos freudien fondamental, qui indique que le refoulement instaure un jeu de bascule entre mémoire et conscience, l’une excluant l’autre, chacune à son tour. Ce qui laisse entendre que le refoulement montre deux facettes : celle du refoulement de la mémoire quand l’actuel de la perception est privilégié, à l’envers du refoulement de cet actuel, quand c’est la mémoire qui se trouve active. Or, dans la psychose, Daniel Bartoli souligne que « conscience et mémoire ne s’excluent pas mutuellement, elles coexistent » ! Il ajoute aussi que « ce ne pas s’exclure intervient comme la formule programme de la folie», « mieux encore, c’est de ne pas concevoir cette non-exclusion que la psychanalyse échoue au traitement des psy-choses ».

Daniel Bartoli propose, dans ce contexte atemporel de la psychose, que le transfert, son espace, permettent de constituer un récit possible. Mais avant le récit, la prise en compte de la trace archaïque de la marque, de son caractère intraduisible, s’imposent. En effet, « le temps de l’actuation est décisif dans le repérage des traces et la composition d’un récit. Ce mécanisme est lui-même un essai dans ce sens mais il échoue puisqu’il procède d’une fusion où coexistent l’archaïque et l’actuel, « sans passé » ».

Or, repérer les traces sans proposer un sens, concerne la mise en place d’un contexte qui, à la faveur de la construction transférentielle, implique la fabrication de scansions permettant « un traitement du réel incarné dans le transfert qui provoque un écrit. L’écriture enserre au plus près le chaos jusque dans ses formes les plus rudimentaires : un tatouage sur le magma. » Pris en compte dans sa valeur  de bord, ce tatouage -cette trace-  « est à l’origine de l’écrit : indication pour autrui dans l’embryon d’un appel ou signal pour soi-même, elle relève de l’inscription mnésique. Composée d’éléments concrets et discrets, perceptibles et constitutifs des zones érogènes elle est la marque d’un passage, l’impression d’une sensation».

C’est, nous semble-t-il, la lettre que ce travail du transfert fait émerger, pour une translittération, opération bijective, bi-univoque, qui permet dans une spécularité retrouvée et reconnue, d’offrir la potentialité d’une lecture du réel, car « ces inscriptions procèdent du réel dont elles témoignent. Résultant hors sujet de l’innommable, elles ne sont pas encore articulées à d’autres traces pour un texte lisible. Indéchiffrables, elles sont les chutes du discours courant et normé au même titre que les formations de l’inconscient et les formations moïques, tous restes accidentels, négligeables, insignifiants, à rejeter malgré leur insistance manifeste à exhiber en même temps qu’ils le dissimulent quelque trouble secret… ».

Ce que Daniel Bartoli décrit ainsi, c’est qu’au plus près de l’innommable, la lettre inscrite sur le magma se trouve forclose car intraduisible, ininterprétable, dénuée de sens. Or, si le risque reste de confondre l’innommable de la jouissance première, son indicible, avec leur inscription, cette inscription, lettre première, pour rester irrémédiablement intraduisible, ne s’en trouve pas moins  lisible et déchiffrable dans les conditions propices d’un transfert détaché du sens. Il s’agit donc, dans le transfert, de relever la trace de l’innommable, et de l’indéchiffrable, cryptés en lettres intraduisibles mais translittérables…

L’objet littéraire que nous livre Daniel Bartoli trace un trait filant qui, œuvrant par la singularité de son style, traverse la pratique et la pensée cliniques contemporaines. Le coup de ciseau est efficace. S’il blesse la bien-pensance, il contribue cependant à libérer la pensée de la folie. Et l’on peut conclure en rendant hommage aux premières pages, qui placent le lecteur en attente d’un discours sur la psychose, dans la peau d’un récit psy-causé. Nous voilà, en guise d’introduction, captifs d’une profération chatoyante par laquelle Daniel Bartoli a l’intelligence, en la plaçant ainsi d’entrée, de nous plonger, en acte, dans le malaise d’une pensée vive, réelle. Le parcours de cette écriture dessine une psychanalyse qui pourrait extraire la culture de l’alternative entre névrose et psychose, une alternative qui, voulant le plus souvent effacer la folie du lien social, au bénéfice de la névrose et de la perversion, la maintien hors de la pensée, et en réitère les explosions brutes et ravageuses. Ces contours  d’une psychanalyse à venir donnent à la psychose une autre place, celle d’un intraduisible à déchiffrer, fondateur de toute construction symbolique.


[1] . Ces deux présentations ont eu lieu lors de deux débats avec l’auteur, en juin 2019 pour Les Passagers du Réel, et en janvier 2020 pour Cinq question aux psychanalystes, si l’Honneur est en jeu…  J’y répondais à l’invitation de Karima Lazali.

[2] Lacan Evolution psychiatrique, 1937, fascicule IV, pp87-89

[3] « La théorie psychanalytique produit des constructions toujours révisables (…),savoir en acte, les moyens de sa technique se déconstruisent aussitôt qu’ils ont produit leur effet. La fugacité en est la marque».

[4] « La psychanalyse est une illusion, donc -ou parce que- elle est une vision du monde, le temps, qu’elle n’excède pas, de l’éclair de l’interprétation. L’illusion s’entend dès lors comme la manifestation du désir dont elle donne la direction, indique la puissance, sublime (ou idéalise) le contenu. »

[5] Le passage mérite d’être cité textuellement : «  Destin de tout mortel que de haïr l’infans, représentant à l’œuvre et incarnation de la pulsion de mort ! dans la légende qui porte le nom d’Œdipe, le fils n’est pas nommé : nourrisson anonyme semblable à tout autre, il doit être anéanti. Le nouveau-né est objet de haine donc objet sexuel pour le couple Laïos-Jocaste dont l’ambivalence va lui sauver la vie. » p34 – 35

[6]  « son désir de l’enfant, mis à mal pour sa propre éternisation, se trouve satisfait au-delà du possible jusqu’au temps de l’alétéïa (de la vérité) qui entraîne sa mort. Le désir de Jocaste est désir d’éternité : elle est en cela la représentation de la mère primordiale » p36

[7] « La circoncision hautement valorisée dans la civilisation au titre d’une intervention symbolique relève du registre du religieux relayé, lorsqu’il s’estompe, par celui de la tradition. Cette opération perdure en un rituel initiatique qui, tout en le mimant, forclot le symbolique alors même qu’il a pour fonction de le représenter. » p37

[8] Bartoli parle de déontologie, mais celle-ci, quand elle garantit par son respect contre certains agissements, ne prémunit pas contre l’asservissement idéologique. On peut penser à celui des médecins envers les laboratoires pharmaceutiques.

[9] « c’est au départ du mouvement psychanalytique que se trouve installé le secret qui le structure »

[10]   Les Passagers du Réel, Pour un traitement possible de la psychanalyse, Daniel Bartoli, Editions des Crépuscules, 2019.

[11]Dans une autre recension du livre de Bartoli, Radjou Soudaramourty remarque, dans une distinction éclairante, que « là où les lacaniens critiquaient à juste titre l’egopsychology de l’IPA dans les années 60 concernant les états compatibles, Daniel Bartoli prône une psychologie ou une psychanalyse du Moi, mais dans la psychose »…

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