Le passage à l’acte de l’analyse

ou les méprises du transfert
Journées de Lille des CCAF 2007

En dépit du silence dont les entoure la littérature psychanalytique, les entorses à l’éthique dans la pratique de la psychanalyse, sans être nombreuses, sont anciennes et répétées. Elles relèvent, de la part de l’analyste, d’une confusion entre sa fonction et sa personne et peuvent prendre toutes les formes dont peut se revêtir la demande d’amour.
Ce silence qui a entouré ces déviations semble avoir des motifs divers. Tantôt est invoqué l’inutilité de s’appesantir sur des situations particulières qui, du fait du passage à l’acte de l’analyste, ne relèvent plus de la psychanalyse mais de relations interpersonnelles ; tantôt c’est la crainte d’une publicité qui discréditerait la psychanalyse ou encore la difficulté que peuvent avoir les associations d’analystes à reconnaître qu’il n’y a pas de garantie absolue de la fonction analyste, bien que certaines d’entre elles fondent leur raison d’être sur la formation des analystes.

Si on en parle actuellement, comme en témoigne la parution récente de plusieurs ouvrages(1), c’est que la prolifération des psychothérapies a donné lieu à des pratiques où la distinction entre relation professionnelle et personnelle devenait ambigu, voire même où l’engagement personnel du thérapeute était considéré comme le ressort essentiel de l’action thérapeutique. Les pouvoirs publics ont estimé que la réglementation du titre de psychothérapeute devrait protéger les usagers de certains abus. Ajoutons aussi que le consumérisme ambiant amène les dits usagers à questionner sur le mode du meilleur rapport coût efficacité les diverses offres de soins et à s’informer sur l’éthique qui les caractérise. Enfin, du côté des analystes, un certain nombre de collègues estiment que les associations d’analystes ont une responsabilité dans la pratique de leur membres et se doivent d’entendre les plaintes qui peuvent leur être adressées et d’y répondre de manière adaptée à chaque situation, c’est-à-dire psychanalytiquement.

Ceci implique de prendre la mesure de ce qui s’est joué dans la pratique d’un analyste dont le passage à l’acte témoigne qu’il s’est mis lui-même en position de demande vis-à-vis de l’analysant. Demande, qui comme nous le savons est toujours demande d’amour. Depuis les origines de la psychanalyse, les praticiens sont supposé être informés que leur pratique ne se déroule pas que sur le mode de la fameuse neutralité bienveillante. Émois et réminiscences suscitées chez l’analyste par les discours et attitudes de l’analysant ont reçu le nom de contre-transfert, ce qui, si on l’entend littéralement nous dit qu’il s’oppose au développement d’un transfert analysable. La notion de contre-transfert a connu dans l’école anglaise une extension qui faisait de l’analyse de celui-ci le ressort essentiel de la cure. L’analyste interprétant en fonction de ses éprouvés au détriment de la littéralité du dire de l’analysant. Lacan a justement critiqué cette orientation de la pratique de la cure, mais ses élèves ont pu se laisser croire qu’une écoute privilégiant l’instance de la lettre les immuniserait d’une implication personnelle dans la conduite de leurs cures. Ils auraient alors oubliés que Lacan avait aussi souligné que dans la cure, l’analyste est en position d’être l’hypnotisé dans la mesure où il est susceptible d’être sous l’emprise d’une voix ou de tout autre objet partiel. C’est dire que les conditions du transfert sur l’analysant sont présentes dans chaque cure et qu’est convoqué, sur le mode de la répétition tout ce qui n’a pu se traiter dans la cure de l’analyste. Certes l’analyse didactique a pour vocation de limiter ce résidu, mais il n’est pas en son pouvoir de l’éliminer, d’autant plus que les refoulements ultérieurs ne cesseront de l’amplifier. Pour peu que l’analyste ait cessé de se considérer comme un analysant, il sera amené à substituer une demande d’amour à ces propres impasses subjectives. Demandes d’amour qui peuvent prendre des aspects très divers allant d’un implicite qui rend une cure interminable à l’explicite d’un passage à l’acte . L’occurrence où l’analyste noue une relation amoureuse avec l’analysant, bien qu’étant la plus caricaturale n’est pas la seule, comme en témoigne des pratiques où l’analyste invite ses analysants à devenir ses élèves, voire son comité de soutien dans les enjeux politiques de la psychanalyse et parfois les enferme dans un lien social de type sectaire.

Ces passages à l’acte témoignent d’un transfert en souffrance de la part de l’analyste et leur répétition signe leur inefficience. Le passage à l’acte n’est en rien résolutif parce qu’il implique une méprise sur l’adresse transférentielle. En effet, l’objet apparent du passage à l’acte, n’est pas l’objet recelant l’agalma mais l’image d’où le moi se voit aimable pour son Idéal du Moi, véritable adresse du passage à l’acte. C’est le report de l’objet petit a sur un trait de l’Idéal du Moi qui déclenche un effet suggestif de type hypnotique et passionnel comme Freud l’a montré dans son article de la Massenpsychologie. Les exemples historiques de Jung et Ferenczi l’illustrent. N’est-il pas interrogeant qu’après leur passage à l’acte ils aient adressé leurs analysantes à Freud dévoilant ainsi leur destinataire et leur transfert en souffrance ? Freud étant convoqué comme le père de la horde qu’on défit et en même temps, comme agent d’une castration imaginaire acceptée en échange de son amour, amour sollicité tout autant par l’identification de nos deux compères à leurs analysantes comme modalité imaginaire de séduction du père. Ces situations ne sont pas limités au temps d’une préhistoire de la psychanalyse où la durée des cures ne permettait pas une analyse didactique suffisamment approfondie. Elles se rencontrent encore aujourd’hui et traduisent un transfert resté en souffrance d’un destinataire du fait d’une cure inachevée pour des raisons très diverses. Quand bien même celle-ci l’ait été, le transfert étant la modalité par laquelle le savoir inconscient se manifeste, un analyste n’est jamais seul dans son acte et toujours dans un transfert à un autre analyste sujet supposé-au-savoir. La fonction analyste ne peut donc se soutenir dans la solitude et le rejet de tout lien institutionnel. Ceci implique que le lien social des analystes puisse constituer un lieu d’adresse où un transfert (de travail ?) puisse trouver un ou des destinataires. Cela requiert d’autres modalités que celles d’un lien social de type universitaire ou bien encore celui d’une bande avec son chef . Ces modalités reposent sur des dispositifs tels ceux de la Passe et des dispositifs sur la pratique qui ont pour vocation d’introduire le discours analytique dans l’institution et que l’analyste puisse s’adresser à ses collègues en analysant de sa pratique.

Les associations d’analystes ne sont pas des instances ordinales. Certaines d’entre elles ont néanmoins constitué des comités d’éthique qui peuvent se saisir ou être saisis des manquements éthiques dans la pratique de la psychanalyse . Dans l’affirmative le collègue est invité à démissionner, ceci se déroulant dans une parfaite discrétion qui évite à l’association de se questionner sur la signification de ce passage à l’acte et de ses responsabilités. De fait les plaintes concernant la pratique des psychanalystes sont très rares. Ce dont se plaignent, à distance et dans une autre cure, les analysants ayants subis des passages à l’acte de l’analyste c’est surtout d’avoir été floué d’une analyse et d’y avoir souvent consenti trop longtemps.

Il se pourrait, qu’invoquant quelques dérives et sous la pression des « usagers », les pouvoirs publics réglementent la pratique de la psychanalyse. Il est à craindre que ceci s’effectue sur un mode universitaire et soit inopérant quant à l’éthique de la pratique de la psychanalyse, tout simplement parce que le modèle universitaire ne peut qu’attester la validation de connaissances et passe à coté de cette exigence qu’est le désir de l’analyste. La psychanalyse demeurera toujours une pratique du singulier donc avec ses aléas et ses risques. Il appartient donc aux associations d’assumer un lieu d’adresse et d’y répondre psychanalytiquement.

Notes
(1) Urtubey L. de, « Si l’analyste passe à l’acte », Paris,PUF,2006.
(2) Lauret M., » Les accidents du transfert », Paris, Champ social éditions, 2006.

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