Le symptôme dans le discours médical nomme un écart observable et quantifiable par rapport à une norme avant même d’être le signe d’un syndrome ou d’une maladie. Les versions successives du DSM reprennent ces exigences de l’ »évidence based medecine ». Leur acte de nomination, qui se prétend purement descriptif, révèle un choix idéologique. En effet, substituer les troubles somatoformes à l’hystérie de conversion revient à rejeter hors du champ de la clinique la dimension du sujet et du désir, telle qu’elle s’exprime dans la demande adressée à un Autre supposé savoir. Que penser d’une prétendue objectivité qui exclut à priori un champ, celui où se manifeste la singularité subjective ? Celle-ci se trouvant, de fait, ravalée à une problématique de l’objet, ce qui a généré dans le social la prolifération de lois de protection de l’usager et institue le juridique comme palliatif à l’absence de réflexion éthique sur la condition subjective.
AVEC FREUD
Prendre en compte la dimension du sujet et de son désir n’exclut pas une réflexion clinique descriptive et épistémologique comme Freud nous le montre dans son recueil Inhibition, symptôme et angoisse où il s’attache à distinguer ce que la clinique médicale considère uniformément comme symptômes ou signes cliniques. En effet, l’inhibition d’une fonction est à distinguer d’un symptôme dans la mesure où celui-ci relève de l’écriture d’une formation de l’Inconscient, alors que l’inhibition est une répression émanent du Moi qui est le lieu de l’angoisse. Comme la phobie le montre le symptôme a aussi pour fonction de limiter et circonscrire l’angoisse. Ces remarques cliniques seraient précieuses pour les médecins, elles leurs permettraient un discernement thérapeutique qui leurs éviteraient de substituer aux symptômes des addictions médicamenteuses.
Mais ceci impliquerait qu’ils redécouvrent l’apport freudien, à savoir que le symptôme est une formation de compromis dans le conflit entre un désir mis en scène dans un fantasme et les exigences de l’Idéal du Moi. Dans un symptôme, comme dans le rêve nous dit Freud, un désir s’exprime et insiste à ce que puisse être entendu son contenu latent. C’est cette insistance d’un savoir insu qui constitue la demande à un sujet savoir sous la forme du transfert.
Le symptôme en tant que modalité d’écriture du savoir insu est donc le fil que nous pouvons suivre vers les formations de l’Inconscient. Or, nous pouvons remarquer la récurrence dans les cas cliniques relatés par Freud d’une nomination des cas par le symptôme le plus caractéristique : l’homme aux rats, l’homme aux loups, le cas du petit Hans aurait pu être nommé l’enfant au cheval… . Ainsi le symptôme devient le nom d’un sujet, comme si son identité la plus intime relevait de cette invention singulière qu’est le symptôme, d’autre part nous pouvons noter l’insistance du bestiaire dans cette nomination. Cette insistance ne peut qu’évoquer la donnée anthropologique du totémisme dans sa fonction représentative de l’ancêtre originel mort. Freud y a lu la représentation du meurtre du père de la horde primitive. Ce qui nous amène à entendre le symptôme, dans un premier temps, comme le redoublement et l’insistance de la fonction paternelle dont la problématique semble osciller, pour un sujet, entre le défi et l’identification. Plus précisément entre identification inéluctable parce que nécessaire et défi parce qu’elle impliquerait comme nous le rappelle Freud soumission passive au père et une représentation castrée de l’image du corps du sujet en contradiction avec les incidences imaginaires de l’Idéal du Moi. Cette représentation de la castration est lisible dans le symptôme où elle est d’abord apparue comme un trait affectant la représentation paternelle. En effet, la phobie du petit Hans se déclenche quand il est confronté à la chute d’un cheval. Pour l’homme aux rats, c’est l’homophonie en allemand entre Ratten et Raten, où la notion de dette vient représenter un manquement du père, que le sujet se sent en charge de devoir assumer ; ce qui rend compte du caractère précipitant de l’injonction du capitaine. Pour l’homme aux loups, ce sera les queues de renard du rêve qui renvoient à la queue coupée du loup d’un conte. Enfin si nous voulons compléter la série, nous évoquerions la toux de Dora comme trait d’identification au père, trait connoté du manque de souffle, de désir caractérisant son impuissance, sur laquelle Freud insiste à plusieurs reprises.
AVEC LACAN
Cette identification au trait signifiant le manque de l’Autre est une substitution par laquelle s’effectue la passage du personnage du père à sa fonction. Elle institue la métaphore paternelle et l’inscription du sujet dans la jouissance phallique. Comme l’a précisé Lacan dans sa logique de la sexuation, la jouissance phallique nécessite pour consister la supposition d’un Au-moins-un qui s’en exclut. Cette logique était déjà lisible dans la manière dont mythes et religions ont pensé l’origine. Oeuvre d’Un-au-moins-un fondateur et exclu du commerce des vivants, instituant par là même une Autre scène que celle de leur réalité. Dans les Perspectives d’avenir de la thérapeutique analytique, Freud soutient que le développement des névroses paraît être la conséquence du déclin de la religion dans les sociétés occidentales. En effet, si la religion célèbre et institutionnalise le culte de l’Au-moins-un, structurant la réalité des croyants parce qu’il procède d’une Autre scène et par là même représentera ce qui manquera toujours à cette réalité, le névrosé, lui, va se vouer à faire exister cet Au-moins-un qui pourrait résoudre l’insatisfaction maternelle. Son symptôme relève du martyr au sens premier de ce terme, comme témoin de sa présence et appel à ce qu’elle se manifeste. Névrose et religion, dans leurs champs respectifs du singulier et du collectif poursuivent le même dessein, l’amour de l’Autre et qu’il manifeste son désir sous forme d’une demande adressée au sujet.
Mais si le névrosé persévère dans cette voie, c’est parce qu’il n’est pas sans savoir que le père dans la réalité s’est manifesté comme insuffisant à répondre à la demande de la mère. Seulement, il rabat cette incapacité sur un père particulier, ce qui lui permet de jouir du fantasme de pouvoir être cet Au-moins-un. Le génie du symptôme névrotique va consister à porter par identification ce trait du manquement du père de la réalité comme élément constitutif d’une demande adressée à un Sujet-supposé-savoir résoudre ce manquement. Ce qui signe qu’une névrose est d’emblée une névrose de transfert.
Cette religion individuelle en quoi consiste la névrose demande, pour son dénouement, que nous ne nous limitions pas aux plans descriptif et phénoménologique. Ceci nous amène à examiner la problématique du symptôme d’un point de vue structural en remarquant que ce qui le caractérise, entre autres, c’est de faire signe au sujet de la proximité d’une situation anxiogène, comme la phobie l’illustre le mieux. Ainsi, le sujet, dès lors qu’un symptôme l’affecte, passe d’une logique du signifiant à une logique du signe. Jusqu’alors représenté par un signifiant pour un autre signifiant, il va l’être par un signe pour l’angoisse et ensuite un Sujet-supposé–savoir lire et y faire avec ce signe. Or, la problématique du signe c’est ce sur quoi repose l’efficience de la relation de suggestion hypnotique. Dans Psychologie collective et analyse du Moi, Freud nous montre que le ressort de la suggestion hypnotique réside dans la collusion du trait de l’Idéal du Moi et d’un objet perceptible et faisant signe pour un sujet. Comme si la jouissance inhérente à la présence de l’objet venait attester de l’incarnation du signifiant et donc d’une capacité performative du signifiant. En bref de produire ce que le névrosé attendait depuis toujours, que le signifiant produise de l’Être. Freud avait aussi observé qu’un des effets du dispositif analytique était un déplacement de la névrose en névrose de transfert, en d’autres termes l’amour du symptôme se transforme en amour du sujet supposé savoir. Ce déplacement est possible parce que le symptôme et la suggestion hypnotique obéissent tous deux à la même logique , celle du signe. La suggestion hypnotique n’est pas un moment préhistorique de la psychanalyse, elle existe structurellement dans le rapport du sujet à son symptôme et dans l’amour de transfert qui est le ressort de l’efficience des psychothérapies dites brèves qui reposent sur l’identification au thérapeute, à sa méthode ou à l’institution auquel il appartient. Modalité qui perpétue ce qu’en son temps La Boëtie avait si magistralement décrit sous la notion de l’amour du « nom seul d’un » comme ressort de la servitude volontaire.
Si le psychanalyste n’échappe pas à cette modalité, dans la mesure où elle est structurelle comme entame et autre versant du transfert, il a néanmoins à soutenir une autre orientation fondée sur les effets de la parole de l’analysant, lesquels en produisant le savoir insu contribuent à la destitution du Sujet-supposé-savoir. Ce savoir insu ce sont ces traits par lesquels s’était inscrit le manque de l’Autre et l’objet du fantasme, autre modalité d’identification du sujet pour résoudre imaginairement ce manque. Ce dont il s‘agit, ce n’est plus une occultation du symptôme par l’amour-névrose de transfert, mais d’un dénouement du symptôme. La séparation des signifiants et de l’objet remet en jeu une logique du signifiant et la jouissance phallique, alors qu’ils étaient figés dans une logique du signe et la jouissance de l’Autre.
Cette perspective de dénouement du symptôme repose donc sur une lecture possible dans un transfert analysant de l’écriture à chacun singulière du manque de l’Autre, traditionnellement approchée depuis Freud par la notion de castration. Ce dénouement du symptôme a-t-il une portée curative ou ne traite-t-il qu’un symptôme particulier ? Dans la mesure où le symptôme redouble et supplée la métaphore paternelle, cette question renvoie au caractère structurel ou névrotique du Nom-du-père. Cette question est cruciale pour penser et argumenter la question de la fin d’une analyse.
AVEC JOYCE
Lacan a pensé trouver dans l’œuvre de Joyce la possibilité de penser le manque de l’Autre autrement que par la métaphore paternelle et son redoublement : le symptôme. Il a considéré que l’œuvre de cet auteur aurait eu la fonction essentielle de faire consister son nom en faisant de cette oeuvre un sujet d’énigme pour les chercheurs universitaires. Joyce aurait ainsi constitué un Sinthome comme modalité supplétive à la forclusion du Nom-du-père qui aurait caractérisé sa modalité subjective. Cette nouvelle écriture du symptôme vise à la différencier du symptôme névrotique. L’enjeu pour Lacan était aussi épistémologique. Comme il l’évoque dans son séminaire il s’agit de savoir si un abord du réel est possible, fusse sous forme d’un bout de réel. Ce réel serait celui du manque de l’Autre qui jusqu’à présent ne semblait pensable par le symbolique autrement qu’en terme de trou avec les incidences imaginaires de comblement que cette appellation induit car elle en efface du coup le réel et fait de la problématique de la castration un concept paradoxalement peu tranché. Le non assujettissement à la jouissance phallique semble avoir déterminé chez Joyce un rapport particulier à son propre corps où, si on s’en réfère à la scène relatée dans Stephen hero, l’insensibilité aux coups qui lui sont portés viendrait témoigner d’un corps non subjectivé. La carence de la dimension signifiante se répercutant ainsi sur le mode d’une perte de consistance de l’imaginaire. Lacan nous propose d’entendre l’œuvre de Joyce comme une suppléance, une réparation de cette carence dans la mesure où elle aurait produit un Égo supplétif. Joyce aurait-il attrapé un bout de réel par cette modalité à défaut de pouvoir le faire par la métaphore paternelle ? On peut douter des possibilités de l’imaginaire à suppléer une carence de la fonction symbolique, elle peut tout au plus la compenser comme le suggère le terme de » béquilles imaginaires » employé par Lacan au temps du séminaire sur les psychoses.
Une autre voie semble sollicitée par Joyce où se faire un nom vaudrait pour lui de : » …façonner dans la forge de mon âme la conscience incréée de ma race »(Œuvres T1,p. 780-781) , formulation énigmatique, l’incréé ne fait-il pas référence au nom de Dieu, et Joyce ne s’est-il pas trouvé confronté à la problématique du sujet psychosé ? Faute de pouvoir transférer sur un père comme origine, il a à assumer seul, comme le président Schreber, une position d’incrée à partir de laquelle un monde nouveau peut se fonder, mais pas sans la fin, la destruction du monde présent. Ainsi la métaphore paternelle forclose reviendrait par l’imaginaire donner un sens paternel aux manifestations du réel, ce qui s’illustre dans la forme la plus aboutie du délire qu’est le délire de filiation.
L’ÉNIGME
Lacan souligne, à juste titre, une autre approche du réel moins imaginairement aliénée chez Joyce, celle où il traite de l’énigme. Modalité où l’indécidable du sens semble laisser apparaître les limites du symbolique, sans recours à la problématique du trou. La problématique de l’énigme pourrait être ainsi pour le psychosé une manière élégante de faire exister le réel, sans les coûts qu’impliquent le recours à l’imaginaire. Cette modalité implique un recours à l’écriture qui a le pouvoir de fixer un sens fusse-t-il énigmatique, car nul n’est maître de sa prolifération.
Cette recherche de Lacan reste elle-même énigmatique. Son enjeu est un abord par la problématique de la forclusion de : »quelque chose de plus radical que la forclusion du Nom-du-père » et qui me semble être l’existence du Réel. L’œuvre de Joyce illustre cette tentative mais son effet pour son auteur, paraît davantage relever de la compensation que d’une suppléance à la carence de la fonction paternelle . C’est ce que semble indiquer les éléments biographique à notre disposition et les derniers développement de son œuvre, Finnegans wake plus précisément, où Lacan à juste titre y souligne la dimension d’une élation maniaque.
Si la folie semble placer le sujet dans une confrontation brutale avec le Réel du fait des manifestations hallucinatoires qui y surgissent ; il faut aussi souligner que leur traitement se fait d’emblée sur un mode imaginaire par la certitude que le sujet a que ça lui fait signe à lui. Certes un traitement sur un mode sublimatoire de ses manifestations pourrait les faire exister avant leur infatuation imaginaire, mais le Réel dont est l’objet le psychosé est habité par les éléments du fantasme qui s’y déchaînent et ne relève pas de l’existence du Réel en tant que tel. Un abord de ce type nécessitant que le sujet ne se prenne pas pour son Moi.
AVEC LE PETIT HANS
C’est ce qui peut s’entendre quand un sujet affecté d’un symptôme s’adresse à un Autre supposé savoir et c’est ce que le petit Hans nous donne à entendre. Partons de cette visite chez Freud qu’il effectue avec son père le 30mars 1908(p 120) où il est amené à préciser que, plus particulièrement, ce sont les chevaux présentant du noir autour de la bouche et des yeux qui l’effraient le plus . Freud qui a son père sous les yeux, lui rétorque sur le mode de la plaisanterie si les chevaux portent binocle et moustache comme son père et il précise à l’enfant qu’il a peur de son père parce qu’il aime tellement sa mère. Freud se laisse emporter par sa trouvaille et va jusqu’à lui dire que bien avant qu’il vienne au monde » il avait su qu’un petit Hans naîtrait, qui aimerait tellement sa mère qu’il serait par suite forcé d’avoir peur de son père »
En sortant de chez Freud, le petit Hans qui ne s’en laisse pas conter, dit à son père ; » le professeur parle-t-il avec le bon Dieu, pour qu’il puisse savoir tout ça d’avance »
Le 2 avril, Freud signale la première réelle amélioration.
Nous retiendrons du génie de cet enfant, qu’il nomme Dieu comme lieu de l’origine et de la totalisation du savoir inconscient et que sa répartie sur le savoir de Freud est ironique. Hans n’est pas dupe que Freud invente une histoire pour assurer sa position de supposé savoir et ses effets de suggestion.
Mais revenons au symptôme et à sa fonction pour un sujet. Certes, comme le souligne Freud, le cheval est un substitut du Nom-du-père et à ce titre assure une suppléance à la fonction paternelle malmenée dans le contexte existentiel de cet enfant par la poussée pulsionnelle. Si le cheval est une représentation du corps paternel et de sa présence, ce qui est de l’ordre de l’imaginaire, il faut noter le noir autour de yeux et de la bouche comme un trait relevant du symbolique, c’est là que réside la véritable suppléance en tant qu’un Nom-du-père. Mais ce »noir autour » inscrit sur le corps une problématique de bord, celui des zones érogènes des pulsions orales et scopiques et relève d’une écriture littorale de la pulsion faisant exister le réel de la lettre : l’objet a.
Ce que nous enseigne la parole de cet enfant, c’est que le symptôme a une structure de nœud. Le symbolique est assuré par un trait(noir), substitut du Nom-du-père, lequel est transféré sur une forme consistante( le cheval) qui est sa modalité imaginaire. Le réel du symptôme est la fonction de bord du trait, modalité où s’inscrit l’incidence du langage sur le vivant, c’est-à dire la pulsion.
Le symptôme, avant toute rencontre avec un psychanalyste est déjà inscrit dans une problématique du transfert, il n’est donc pas étonnant que dès lors que cette rencontre s’installe il se manifeste transférentiellement et il importe de distinguer ces registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire qui le constituent car cela va conditionner l’orientation de la cure.
De quoi le symptôme est-il le nom ? de l’image du corps, du père, de l’objet a. En rester à sa modalité imaginaire relèverait de la suggestion, se limiter au symbolique et à la signification paternelle répéterait la religion qui viendrait voiler le Réel qui nous dit :il n’y a pas d’Autre de l’Autre mais une instance de la lettre qui nécessite une surface pour s’inscrire et une langue pour se transmettre. Ainsi penser le symptôme non pas comme une suppléance 4eme du nœud borroméen à 3, mais comme le nœud RSI lui-même, c’est poser le symptôme comme structurel en tant qu’invention nécessaire pour faire exister le réel. Le symptôme névrotique relevant d’une passion à faire exister le Père, Un-au-moins un qui pourrait, voilant ainsi le réel de notre condition langagière car : Il n’y a pas d’Autre de l’Autre.