Contribution au débat sur : « Constructions dans l’analyse » de S. Freud (1937)

CONTRIBUTION AU DÉBAT SUR : « CONSTRUCTIONS DANS L’ANALYSE » de S. FREUD (1937) in Résultats, idées, problèmes, T 2, p. 269.

Dans le premier paragraphe de cet article Freud répond à une critique de l’interprétation en psychanalyse et sur ce qui la fonde en vérité. Il nous rappelle que la visée de travail psychanalytique, soit l’acte analytique, consiste dans la levée du refoulement, au sens large. Plus précisément, les refoulements des débuts du développement pour les remplacer par des réactions correspondant à un état de maturité psychique. Arrêtons nous sur ce terme. Qu’est-ce qu’un état de maturité psychique ? Les refoulements seraient-ils limités à l’enfance ? Ces formulations dénotent une conception développementale du sujet et semblent faire abstraction de sa division structurelle.

Pour arriver au but que Freud assigne à la cure, il convient de se remémorer le souvenir de « certaines expériences et des motions affectives suscitées par elles ». Nous en avons une idée à partir de ce qui se dit et se montre dans la relation transférentielle. « Il nous appartient de restituer ce que nous souhaitons obtenir : une image fidèle des années oubliées par le patient, une image complète dans toutes ses parties ». D’après les indices échappés à l’oubli, l’analyste construit ce qui a été oublié comme l’archéologue le fait d’un objet à partir des morceaux épars que lui livre sa recherche.

Mais qu’est-ce qu’une » image fidèle » et complète du passé dans la mesure où en tant qu’image, c’est déjà une version de ce qui a été vécu ? La vérité d’une interprétation reposerait-elle sur l’exactitude factuelle des évènements cruciaux pour un sujet tels que l’analyste les aurait reconstruits ?

Freud n’est pas dupe des difficultés que rencontre l’analyste pour fonder en vérité son acte. L’objet psychanalytique s’avère complexe et recèle encore beaucoup de mystères ajoute-t-il. Si bien que ce travail de construction ou de reconstitution n’est qu’un travail préliminaire. Pas seulement d’un point de vue chronologique, mais aussi dialectique. Ainsi, l’analyste communique un fragment de construction à l’analysant et à partir des effets produits, il en propose un autre et ainsi de suite jusqu’à la fin.

Dans le deuxième paragraphe, Freud fait une distinction entre interprétation et construction. L’interprétation concerne un « élément localisé du matériel », tel un lapsus, alors que la construction a pour objet de présenter à l’analysant une période oubliée de sa « préhistoire » (cf. l’exemple p. 273). En d’autres termes, la construction viserait à nommer au sujet la problématique des évènements qu’il a refoulé. Nous en avons un autre exemple quand Freud dit au petit Hans que « bien avant qu’il naisse, il avait su qu’il viendrait un petit Hans qui aimerait tellement sa mère qu’il serait par la suite forcé d’avoir peur de son père » (in Cinq psychanalyses p. 120).

Ce mode d’intervention de l’analyste ne lui confère-t-il pas un savoir qui rendrait problématique la résolution de la névrose de transfert ? Laissons au petit Hans le soin de nous montrer comment il s’est débrouillé avec ce que Freud lui même nomme sa vantardise. De retour chez lui, il demande ironiquement à son père « si le professeur parle avec le bon dieu pour qu’il puisse savoir tout cela d’avance ».

Proposer une construction introduit donc deux questions. D’une part elle pose l’analyste en tant que sachant alors que le savoir de l’inconscient a à être produit par l’énonciation de l’analysant, d’autre part qu’est-ce qui garantit que nous sommes dans le vrai ?

Freud répond à cette deuxième question en assurant de l’innocuité d’une construction erronée, voire même que celle-ci peut susciter des effets de vérité. Ce qui ruine par avance toute attente dans l’effet de reconstituer » une image fidèle des années oubliées ». Freud assume la dimension suggestive de la construction en nous assurant qu’il n’en a jamais abusé et finalement renvoie à l’analysant l’appréciation de la valeur de vérité d’une construction. Non pas par son acquiescement ou sa réfutation mais par les effets de la construction sur son énonciation. Même et surtout quand celui-ci y répond par une dénégation : »je n’aurais jamais pensé cela… ». La validité d’une construction ne relève pas de son adéquation à une réalité historique ou psychique mais du fait que l’analysant y réponde par une formation de l’inconscient, lapsus, acte manqué, rêve…La construction est donc « une supposition en attente de confirmation ou de rejet » par les associations de l’analysant. Ainsi la question de la vérité se pose autrement pour la psychanalyse que pour les sciences et la logique. Ce n’est pas un énoncé en soi qui est vrai ou faux. D’ailleurs il serait préférable d’employer la notion de pertinence plutôt que celle de vérité.
Dans un troisième paragraphe, Freud aborde les limites des constructions. Elles peuvent échouer à susciter une évocation du refoulé. Mais il ajoute qu’une « analyse correctement menée le (l’analysant) convainc fermement de la vérité de la construction, ce qui du point de vue thérapeutique a le même effet qu’un souvenir retrouvé » et il nous renvoie à des recherches ultérieures pour l’explicitation d’un tel effet.

C’est là le point faible de cet article dans la mesure où le thérapeutique prend le pas sur l’analytique et où la suggestion s’avoue sans le contre point de l’énonciation de l’analysant. Donner un sens à ce qui du réel insiste sous la forme d’une absence d’associations et d’une répétition du symptôme ne relève-t-il pas du discours religieux ?
L’article aurait pu s’arrêter là, sur le pouvoir et les limites des constructions, limites auxquelles l’analyste s’autorise à pallier par la suggestion. Mais Freud reste soumis à l’éthique des sciences expérimentales de sa jeunesse et il nous fait part de ce qu’il a observé lors de ces forçages de la suggestion.

La communication d’une « construction manifestement pertinente » provoque l’émergence de « souvenirs excessivement nets », non pas de l’événement refoulé qui était le contenu même de la construction, mais de détails voisins de celui-ci et sans effets associatifs. Freud y voit un effet de la résistance qui procède par déplacements de contiguïté. La netteté de ces perceptions pourrait les faire rapprocher d’un phénomène hallucinatoire, ce qui du reste peut se produire. Cela l’amène à évoquer un caractère général de l’hallucination qui pourrait être le retour d’un événement oublié des premières années. Il étend ce caractère au délire, où le détournement de la réalité qui le caractérise favoriserait une telle poussée du refoulé. Ainsi, la folie contiendrait un morceau de vérité historique qui serait au fondement de la conviction délirante et qui mériterait d’être prise en compte dans son traitement.

Dans ce passage, Freud emploie le terme de vérité historique. Qu’entend-t-il par là ? Cette expression a déjà été utilisée pour qualifier le meurtre du père de la horde primitive. Le recours à la réalité de l’acte est-il une manière de pallier à l’impossibilité pour le symbolique de soutenir seul sa consistance ? Le terme réalité ne vient-il pas comme une esquisse de la dimension du Réel que développera Lacan ?

Les effets dans le Réel de certaines constructions ne dénotent-elles pas leur caractère de forçage dans la mesure où ce qui ne peut être repris au niveau du symbolique réapparaitrait dans le réel ?

La chute de l’article n’est pas moins intéressante, Freud en arrive à se demander si « les constructions que nous bâtissons ne sont pas des équivalents du délire ». Confronté à une situation où la dimension symbolique (l’association libre) semble inefficiente, ce qui n’arrive pas à se dire ne réapparait-il pas dans le Réel chez l’analyste par un agir en quoi consisteraient certaines constructions ?

Pour conclure
Cet article traite de situations que nous croyons actuelles mais que Freud rencontrait déjà sous la forme d’un défaut de remémoration voire d’associations chez l’analysant. Il s’autorise à faire part à celui-ci de ses propres associations sous la forme d’hypothèses reconstituant des évènements oubliés de l’enfance qui ont une incidence sur la production du symptôme. Il laisse le soin d’en vérifier leurs pertinences à leurs effets sur l’énonciation de l’analysant, mais il s’autorise à s’en passer en leur absence et à user de la suggestion non sans signaler des effets qui l’interpellent.

Autant user d’une incitation à se souvenir peut paraître une énonciation du désir de l’analyste, autant se satisfaire d’un forçage suggestif sous prétexte d’un effet thérapeutique immédiat ne me semble pas recevable pour peu qu’on ait du symptôme une autre conception que celle que soutient aujourd’hui le discours médical. Si le symptôme est une formation de l’inconscient, alors il représente le désir d’un sujet et un dispositif de jouissance et pas un dérangement à supprimer. Seule l’évolution du discours de l’analysant est susceptible d’en modifier les expressions et d’en dénouer les impasses. La fonction de l’analyste est de faire entendre ce qui se dit dans le discours courant, l’énonciation au delà de l’énoncé.

Le problème des constructions c’est que ce sont des constructions de l’analyste. En d’autres termes ne communique-t-il pas ainsi ses propres conceptions et préjugés, ne poursuit-il pas à son insu sa propre analyse ?

Sur un autre plan, il paraît curieux qu’en 1937 Freud évoque une causalité évènementielle au symptôme à travers sa quête « historique ». Comme s’il avait oublié qu’il avait renoncé à sa neurotica. Pourtant, en situant la causalité du symptôme du côté du fantasme, il avait pensé à une cause qui ne précédait pas le sujet mais qui était devant lui dans la mesure où le fantasme organise notre relation à nos objets. L’analyse n’est pas celle de l’histoire mais celle du fantasme tel qu’il se manifeste dans une relation transférentielle. C’est la condition d’une résolution possible de la névrose de transfert.
On aura remarqué que Lacan, lecteur pertinent de Freud, n’a pas commenté cet article. Pourquoi ?

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