Textes préparatoires au séminaire de l’I-AEP du 4 et 5 juin 2016

Voici, reprenant pour une grande part ce que j’ai entendu, le texte écrit dans l’après-coup de la réunion du GEPG du 10 octobre, réunion préparatoire au Séminaire de l’IAEP prévu à Grenoble en juin prochain. Des écrits avaient servi de base à nos discussions : le pré-argument pour le Séminaire de l’IAEP de juin et six contributions de collègues qui avaient été transmises au préalable. L’une reprenait les débats des réunions de l’IAEP des 18 et 19 septembre à Paris, plusieurs autres évoquaient ceux des rencontres grenobloises précédentes et deux enfin, interrogeaient la cure personnelle pour élaborer la question de l’« acte ».

Dans les échanges, il y eut pour plusieurs termes un double mouvement : à la fois d’approfondissement d’une définition théorique et à la fois de précision de ce à quoi ils correspondent dans la réalité clinique, et aussi pour certains dans leur cure personnelle.

En ce qui concerne l’« acte » :

Est-ce le nom de ce qui singularise la psychanalyse et la différencie des psychothérapies?
Comment le définir ? Lacan a élaboré cette notion au cours de deux de ses séminaires : « La logique du fantasme » (1966-67) et « L’acte psychanalytique » (1967-68). Ce dernier fait l’objet d’un travail d’un groupe de collègues.

S’agit-il de l’effet de la pratique de l’interprétation?

Ainsi, une intervention portant sur un signifiant ébranle sa signification habituelle, opère une coupure de l’unique lien de sens qui existait et se produit alors de l’équivoque. Il y a ouverture à une polysémie, à de nouveaux liens associatifs.
Lacan parle de la confrontation à un « pas de sens », à comprendre comme un « pas de porte », un seuil, avec deux temps : la rencontre et le franchissement
– un premier temps plus ou moins fugace : le sujet se trouve devant une ouverture, devant du « hors-sens » avec la perception d’un au-delà mystérieux. Il y a le sentiment que quelque chose se passe, et cela concerne également le corps : un ressenti, une émotion, et aussi de la perplexité.
– un deuxième temps : le franchissement du seuil. Une nouvelle association advient dans la surprise et l’analysant d’affirmer : « je n’y avais jamais pensé »…, « je n’avais jamais fait le lien » …
Comme le sujet consiste de son lien à la parole, cet « acte », parce qu’il produit de nouveaux frayages, lui permet d’enrichir sa dimension de parlêtre.
Les significations du signifiant concerné, antérieurement fixées en un sens univoque, faisaient fantasme. Elles soutenaient symptômes et comportement répétitifs. L’« Acte » opère coupure et ouverture dans cette univocité et va ainsi, indirectement, produire des modifications cliniques. On peut donc en attendre des changements thérapeutiques : amélioration, allègements des symptômes et dégagement des répétitions.

Un tel « acte » considéré alors comme résultant de la pratique de l’interprétation, requiert-il obligatoirement les conditions de la cure type? Est-il envisageable, est-il repérable dans des pratiques hors cures types ?
Parmi celles-ci, dans cette réunion, nous avons surtout évoqué celles qui s’inscrivent dans un dispositif de relation à deux.
Les conditions classiques de la cure type sont aujourd’hui souvent difficiles à mettre en place. Le déclin du transfert sur la psychanalyse dans les discours dominants, associé aux faibles possibilités financières des éventuels analysants, occasionne une limitation du nombre de séances hebdomadaires.
Par ailleurs, les demandes qui nous sont adressées sont très diversifiées. Elles sont en partie différentes selon que l’on exerce aussi comme psychiatre, comme psychologue ou bien uniquement comme psychanalyste.
Les demandes d’analyse elles-mêmes se sont raréfiées sous l’effet d’un certain nombre de facteurs :
– la disparition de l’engouement de l’intelligentsia,
– la diminution du nombre de professionnels de la psyché et le désinvestissement de la psychanalyse
en tant qu’expérience formatrice,
– la méconnaissance de la psychanalyse dans le public, etc …

Comment aujourd’hui dénommer ces pratiques duelles en dehors de la cure-type? Le terme
« psychothérapie » traditionnellement utilisé, seul ou associé (psychothérapie d’inspiration analytique, d’orientation psychanalytique, faite par un analyste…) et toujours employé dans la société par les patients, peut-il prêter à confusion avec les psychothérapies légalement contrôlées ? Ainsi parle-t-on de « psychanalyse compliquée » à l’instar de Pierre Fedida, de « psychanalyse appliquée » ou bien d’« entretiens préliminaires ».
Ce dernier terme fait florès. A l’origine, il désignait les premières rencontres destinées à vérifier
l’analysabilité d’un sujet qui faisait une demande d’analyse. De nos jours, ces « entretiens » peuvent durer et durer longtemps. Cette notion est féconde en ce qu’elle inscrit tout travail dans une trajectoire orientée vers un début de cure et donc également vers une fin. Elle est par ailleurs réductrice car induisant l’idée que le travail qui seul ait de la valeur et de l’intérêt, est celui qui s’engage lorsque démarre une cure.

L’ « acte » serait donc un effet d’une modalité d’intervention qui spécifie l’analyste : l’interprétation. Mais il existe d’autres modalités d’intervention, par exemple celles qui participent de la « construction ».
Le texte de Freud « Constructions dans l’analyse », que nous avons travaillé dans la dernière séance du séminaire du GEPG, la présentait comme une intervention qui pallie la panne de la remémoration. Résultat de l’invention d’un pan manquant de l’histoire du sujet, elle vise à transmettre un fragment de savoir. L’esprit de cette transmission peut suivre deux voies opposées, contradictoires. Le texte n’en privilégie aucune, laissant une certaine confusion. Il s’agit d’une intervention qui, soit se veut une vérité définitive, soit se présente comme une fiction, dont la fonction est alors opératoire. Dans ce cas, elle permet, finalement au même titre qu’une interprétation, d’avoir des effets de relance du discours. Dans l’autre, au contraire, au nom d’une explication rationnelle, elle obture l’accès à ce qui vient. C’est manifestement ce qui s’est passé pour certains sujets qui tiennent, sur eux-mêmes et sur leur histoire, un discours totalement clos. Toute question a déjà trouvé sa réponse. Dès lors, c’est bien un travail préliminaire de déconstruction qui est requis.
Une lecture féconde de cet article de Freud peut être promue, légitimant ainsi le recours à de nombreuses modalités d’interventions à partir du moment où l’énoncé transmis est présenté comme une fiction. De cette façon, il est évité d’avoir pour résultat une suggestion.
Peut-être le point essentiel de ce qui est alors opératoire réside-t-il dans les effets de nomination de l’usage de certains signifiants, qui apparaissent dans l’énoncé même de la construction ?
Et cela, à l’instar de ce que nous avons vu dans le premier exemple donné dans l’article : Freud s’adressant à un patient, évoque une modification des sentiments de celui-ci vis-à-vis de sa mère. Ils seraient devenus « ambivalents » du fait que, après la naissance d’un petit frère, elle ne se consacrait plus exclusivement à lui. Ce terme « sentiments ambivalents », parce qu’il désigne des affects et leur qualité, les reconnaît, et en même temps qu’il les nomme, les autorise. Ainsi, ils peuvent être pensés.
A l’instar également de ce témoignage d’un collègue évoquant une analysante qui, à la fin de sa cure, avait révélé qu’un tournant important dans son travail avait été l’effet d’une certaine intervention de son analyste. Lorsqu’il lui avait dit : « votre mère vit une dépression ».
Offerts alors par l’analyste en position de grand Autre en tant que lieu du trésor des signifiants, ces mots lui sont d’abord venus à lui. Ce sont les produits de sa perlaboration inconsciente à partir de son écoute. Telle une « Troisième Oreille », elle a perçu des éléments très discrets transmis dans le transfert par l’analysant. Bion avait formalisé avec pertinence ce processus lorsqu’il évoquait la transformation par l’analyste des éléments β du patient, inconscients et non liés, en éléments α, insérés alors dans les réseaux signifiants.
Par ailleurs, le parallèle fait par Freud, entre la construction et la théorisation de l’analyste, a été rappelé. Celle-ci donne sens à l’expérience et pallie son Inconnu de même que la construction vient à la place de la remémoration qui défaille. Là aussi avec deux possibles conséquences contradictoires : soit l’élaboration fait repère comme fiction et sert de relais à une pensée en mouvement, soit la formalisation fait office de vérité et empêche le mouvement des idées.
Dans le premier cas elle borde et repère l’ineffable alors que dans le deuxième, elle le voile.
Rencontrer l’incompréhensible peut constituer une grande difficulté, parfois trop grande et la pente vers un masquage confortable du vide par les rationalisations ; l’intellectualisation est toujours présente. Un « dispositif sur la pratique » permet de maintenir ouvertes les questions de la pratique, de les nommer, de les apprivoiser.
En cela, on peut voir aussi un abord des fonctions de la supervision collective. Si les demandes faites aux psychanalystes pour diriger ce type de travail avec des équipes d’institution de soins n’ont pas faibli, c’est bien qu’avec eux, il y a assurance de ne pas confondre vérité et fiction. Ainsi est maintenu l’écart nécessaire à la circulation de la pensée.