En quoi la psychanalyse n’est pas une psychothérapie.
Séminiare de l’I-AEP de Turin- avril 2015
Ce texte a été écrit suite aux élaborations partagées dans notre travail entre deux langues le 29 mars 2015 à Grenoble, avec nos collègues de Turin. La relation qui existe entre la pratique du dit psychanalyste et les concepts théoriques de la psychanalyse nous permettent de réfléchir à la singularité de l’acte analytique, et à tenter de réfléchir à cette insistante question: Pourquoi l’analyse ne peut être absorbée dans le terme de psychothérapie?
Ces digressions sont venues des échanges fructueux de notre dernière rencontre, mais aussi d’échanges avec des collègues qui pratiquent la psychothérapie, tout en la différenciant de l’analyse.
J’ai laissé la question ouverte suivante:” Quelles différences établieriez-vous avec la psychanalyse, autant dans votre pratique que dans ses aspects théoriques.”
Sans nier les concepts analytiques, ceux-ci ne font partis que des multiples outils qu’ils utilisent pour soutenir la demande des personnes qu’ils ou elles reçoivent.
Et le mot juste est bien celui de soutien qui compte pour eux.
Celui qui est en fonction d’analyste ne propose pas un soutien quelconque, au sens d’une aide, si ce n’est pour l’analysant de tenter de soutenir sa propre parole, tout autant altrettanto que les malentendus et ressorts multiples qui la constituent, avec l’idée que toujours quelque chose échappe.
L’acception est brutale, car on pourrait entendre rétorquer, dans le discours ambiant: « si l’analyste n’apporte pas de soutien, il ne sert à rien. » Et comment se saisir par les mots de ce qui échappe?
Dans notre monde qui n’accepte pas le défaut, la faille, le manque, où tout doit être obturer, et où tout doit conduire à une production de sens, comme d’objets matériels fétichisés qui oblitèrent le manque, cela ne va pas de soi de parler d’analyse, comme d’un lieu autre, qui se définirait comme le lieu « qui n’est pas ».
Nous parlons souvent de l’analyse, de manière par fois complexe, à partir tout ce qu’elle n’est pas: pas de but et de finalité préétablis, pas de garantie, pas de résultat attendu, pas de promesse d’amour, de bonheur ou d’harmonie.
Il s’agit plutôt d’une confrontation à sa propre solitude, à ses pensées inconscientes, aux mécanismes de formation de l’inconscient.
Cet espace et ce lieu, le cadre proposé et qu’ils constituent s’ouvrent sur la formulation: » dites tout ce qui vous vient, comme cela vous vient. » Les pensées, quand on commence à les formuler, il n’est pas difficile de constater combien elle tournent plutôt autour d’elles-mêmes, comme la Terre sur son axe.
Le sujet ne perçoit pas immédiatement combien ses pensées bougent pourtant, pas seulement autour de leur propre axe, mais qu’elles sont mobilisables et peuvent cesser de justement « tourner en boucle », mais faire d’autres détours qui permettent d’envisager d’autres contours.
Un de nos collègues partait de l’idée suivante comme entame à nos échanges: la recherche fondamentale est abandonnée au profit d’une recherche appliquée, comme la psychothérapie au profit de l’analyse.
Les managers de recherche sont aujourd’hui tout aussi bien des commerciaux, la survie de leur entreprises passant par la vente de leurs projets.
Nous établissions ce parallèle avec la psychanalyse qui elle-même est lâchée au profit des thérapies que l’on pourrait appeler appliquées.
La psychothérapie qui s’applique à traiter un symptôme, un comportement, qui se donne pour finalité une réadaption à l’environnement, dans le but de rendre la personne qui est venue consulter de nouveau opérationnelle, répond aussi malgré elle à des critères économiques. Le profit a pour ennemi le manque qui est perçu du côté d’une carence insupportable.
Pourtant ce modèle ou ce montage ne colle pas au nouage du symptôme tel qu’il se joue en analyse, dès lors que le symptôme se constitue comme une barrière contre l’angoisse, un « barrage contre le Pacifique », singulier et différent pour chacun.
La psychanalyse propose une autre manière d’aborder le symptôme, qui va au-delà de la réalité du sujet, pour le confronter à la question de son propre désir.
Cela concerne le patient qui s’adresse à un analyste dans une demande d’être soulagé de sa souffrance, tout autant que l’analysant qui » fait une analyse ».
Ce déplacement n’est pas évident à proposer d’emblée à la personne en souffrance qui vient consulter.
Mais il est souvent acceptable de saisir, pour celui qui parle, qu’il ne peut se définir uniquement par un laconique » je suis dépressif » ou » je suis bipolaire » qui dit tout et oblitère, alors qu’au fond cela ne dit rien.
Et c’est parce que cette formulation est trop pleine, se contient elle-même, se renferme sur elle, qu’il importe d’ouvrir ce qui se clôture et se ficelle, par quelque chose comme « et vous, que diriez-vous? »
C’est ce pas franchi qui ouvre la porte à une parole différente, en creux, en faille, que mobilise la relation transférentielle.
Une amie psychothérapeute me rétorque que la psychothérapie se situe également du côté du questionnement et pas de la réponse, qu’elle permet aussi au sujet de s’interroger sur son propre désir, sur la jouissance que le symptôme alimente, et qu’il alimente également, sur les répétitions, la compulsion de répétition freudienne, qu’elle ne néglige pas les effets de transfert.
Il me semble pourtant inévitable qu’en analyse, un autre déplacement s’opère lorsque l’analysant s’aperçoit qu’il peut toujours tenté de coller à ce qu’il suppose être le désir de son analyste, s’identifier à ce qu’il fantasme de celui-ci, rien de « suffisant » ne se produit.
Que les identifications ne durent qu’un temps et qu’elles s’épuisent, de même que s’identifier au désir de l’autre n’est pas une fin en soi. Le ressort d’une analyse est bien le transfert, au-delà des identifications initiales, car par lui et à travers lui renoue et se rejoue les enjeux de ses propres répétitions. C’est lorsque le sujet s’entend parler, qu’il commence à décoller de ce qu’il dit.
Une demande d’analyse étant souvent une demande d’amour ou de reconnaissance, qui se répète mais ne trouve de réponse, cette demande inconsciente va se déplacer par le jeu même du transfert. L’analyse propose un cadre avec un espace, un temps réservé à la parole, et si par ses interprétations, ses agirs celui qui est en fonction d’écoute l’oblitère, l’obstrue, le bouche, il perd le fil de la dimension analytique. Maintenir un espace analytique, c’est tenter de ne pas perdre ce fil, de ne pas faire disparaître cet espace troué pour que continue d’opérer les effets de l’inconscient.
En étant ainsi à contre sens et à l’envers d’une réponse à la jouissance, l’analyse, ou plutôt ce que certains nomment à juste titre la fonction analyste, offre un désir en creux, une aliénation à la parole, sans garanti de bonheur, pas plus que d’effet thérapeutique palpable, ou de rendement immédiat, quelque chose qui » n’est pas ». L’analyse contraint à affronter le réel. Et le langage, dans sa dimension symbolique, se définit par le fait qu’il finit par traduire ce qui n’est pas. Il nous amène à se confronter à la dimension de impossible. Le réel n’est pas un mot comme les autres, écrit Alain Didier-Weill dans » Un mystère plus lointain que l’inconscient. » Nous pouvons dire qu’il est un mot qui ne veut rien dire, si ce n’est qu’il est un mot. Ce mot réel ne renvoie pas à un signifiant mais à un « dire » d’une énonciation très singulière. L’analyse entre-ouvre à cette expérience de la solitude absolue, tout en acceptant le risque de vertige.
Enfin la psychothérapie se terminerait lorsque le patient se ressent suffisamment apte à mener sa vie, n’a plus besoin de soutien, parce qu’il est dans un soulagement de ses symptômes. Quitte à revenir plus tard pour demander un accompagnement pour une autre tranche de sa vie. Certains psychothérapeutes définissent leur pratique comme un préalable nécessaire et parfois suffisant pour certaines personnes, mais reconnaissent en effet qu’elle n’aurait pas la même finalité que l’analyse, qu’elle ne cherche pas à « désamorcer le fantasme inconscient » aussi loin que l’analyse, pour reprendre leurs termes, que ce n’est pas son but. Quant à l’analyse, elle aurait une finalité différente, parce que tout d’abord elle aurait une fin, une traversée, un franchissement ultime où rien ne serait tout à fait comme avant, et qui relève de bien autre chose que d’un soulagement. L’analysant se laisse surprendre par les chutes de sa propre parole, et c’est à partir de cet endroit qu’il s’entend autrement, dans le jeu des signifiants qui le traversent.
» C’est parce qu’à tout instant le corps de l’infans prend le risque de tomber en direction de ce qui pourrait être sa tombe, c’est à dire sa mort, qu’à tout instant ce corps est vivant. Il en est de même de la parole: elle sera vivante pour autant qu’à tout instant elle sera, comme le corps danseur, sujette à tomber. » ( Alain Didier Weil, Un mystère plus lointain que l’inconscient.)
C’est en cela que l’analyse ne saurait être englobée, assimilée à une psychothérapie, dans un affairement juridique ou social qui noie la singularité même de l’expérience mystérieuse qu’elle propose.