Présent et avenir de la psychanalyse ou Ce qu’il en coûte, aujourd’hui, d’être freudien

Séminaire de l’IAEP organisé par Le Coût Freudien
Samedi 5 et dimanche 6 décembre 2020

Tout au long de son œuvre, poursuivant les investigations fécondes de Freud et relayant ses habitudes, Lacan n’aura jamais cessé de visiter ces croisements psychiques dès l’entrée desquels se produit un refoulement né des rencontres et des heurts entre le sujet et l’Autre.

Soucieux, lui-aussi, de donner du sujet – comme de la psychanalyse – une définition structuraliste et non-pas essentialiste, Lacan aura maintenu ouverte la voie pour que puisse être entendu que le sujet ne se comprend que comme se pense l’Autre, à savoir dans sa relation, voire sa dépendance à l’Histoire. Ainsi, écrivait-il : « Il n’y a évidemment pas de structure sans référence à l’histoire »1. Quitte à prendre en compte les lieux et les temps où des modifications de l’Histoire, de l’Autre et de l’Inconscient se font jour. Parfois, presque d’un jour à l’autre.

Mille et une questions, comme autant de nuits, se posent alors aux psychanalystes, ce jour.

En effet, lucidité et force sont aujourd’hui de constater que le déchainement pulsionnel, tout autant que la destitution subjective généralisée et l’enfouissement convenu de l’inconscient à l’époque contemporaine sont à l’Ordre du jour et, ce, à l’échelle de ce qu’il est d’usage de nommer : La mondialisation… Asepsie d’un signifiant qui dissimule fort mal ce qui pourrait bien être, peut-être, l’internationalisme de la haine…

Alors, que dire de l’augmentation considérable des violences conjugales, de la maltraitance faite aux enfants (même ante-confinement…), de la multiplication des agressions racistes et antisémites ces derniers temps, de ce déferlement sans frein de brutalité mutuelle opposant chaque semaine la population et les forces de l’ordre (en France comme dans beaucoup d’autres pays du monde) ? Que dire des intégrismes religieux confondant barbarie et préceptes, et ignorants de l’étymologie de ce dont ils disent être habités : la religion, (religare = relier) ?

Comment concevoir la haine banalisée dont la psychanalyse et les psychanalystes eux-mêmes sont aujourd’hui l’objet et cette étrange dialectique à l’intérieur de laquelle plus les personnes auraient besoin du secours de la psychanalyse et plus celle-ci se verrait vilipendée ?

Comment entendre les effets délétères de l’apparition de cette nouvelle figure de l’étranger : le virus, sur les individus, les couples, les familles, avant, pendant et après le confinement ?

Quelle observation faire des modifications substantielles produites par le virus, concernant le rapport à l’autre, dans tous les secteurs et dimensions de la vie sociale, quand chacun semble faire sienne, de façon ubuesque et sans le savoir, la devise de Descartes : « Larvatus prodeo » (« Je m’avance masqué ») ?

Á quoi nous pourrions ajouter l’interdiction politique de prêter son bras aux anciens en fin de vie, celle d’accompagner les défunts à leurs propres funérailles (ces interdictions fussent-elles sanitairement justifiées), et l’injonction paradoxale qui consiste à enjoindre chacun à « prendre soin de l’autre » et, simultanément, à contraindre chacun à respecter impérativement ce que l’on nomme : « la distanciation sociale ».

Comment commenter l’inflation, dans la langue, de signifiants tels que « le corona-virus » devenant très rapidement « le covid 19 » puis « le covid » jusqu’à devenir : « LA covid » (féminin) puis encore « Covid » (comme un étrange prénom… )… Covid : littéralement : ensemble vide…, « la distanciation sociale » comme processus jusqu’à se substituer à ce qui n’est en réalité que « distance spatiale » comme simple procédé, ou bien « gestes-barrières » au lieu de « mesures de protection », et « clusters » à la place de « foyers de contamination » ?

Que dire de la façon avec laquelle les gestes mortifères paraissent faire écho aux « gestes barrières » et prendre le chemin de la contagion virale, quand des meurtres sont commis quotidiennement sur des personnes venant rappeler à d’autres l’obligation du port du masque et, si au nom de la liberté et de la vie, la jeunesse répond au danger viral par l’ordalie et le « droit » à la jouissance hic et nunc (rave-parties) ?

Comment interroger une époque (et ses effets sur la psyché) si elle semble hisser l’anomie au rang de principe premier d’organisation et de gouvernance d’elle-même, si elle parait simultanément forclore le Réel, hypotrophier le Symbolique et hypertrophier l’Imaginaire ?

Devant cette désorganisation symbolique, ce rapport à la parole singulièrement perverti, comment les psychanalystes sauraient-ils faire obstacle à la multiplication des interdits de penser et, surtout, de penser autrement ? Interdits répandus jusque dans les universités de la république…

Ce malaise grandissant de notre culture induit-il de nouveaux paradigmes dans les cures en cours ou les cures à venir ? Qu’en est-il de la demande d’analyse dans un contexte semblable ?

Demande de pansement, en attente d’élaboration, partie aux antipodes de « l’expérience sans projet » ?

Comment faire aujourd’hui pour que la psychanalyse parle aux jeunes gens, dont la souffrance est réelle mais qui donnent l’impression de s’être éloignés, sinon affranchis, de l’énonciation ?

Comment les psychanalystes pourraient-ils répondre à une demande post-moderne, en maintenant leurs assises théoriques, leurs signifiants, « l’Éthique » et conserver leur créativité en face d’une société qui semble muter de manière métastatique… Comme si l’Histoire paraissait s’accélérer ? Beaucoup d’entre-nous, ayant cédé sur le nombre de séances prévu par la cure-type,

– tout comme d’ailleurs jadis sur le non-établissement de feuilles de soins – jusqu’où, aujourd’hui, serions-nous prêts à aller pour ne pas céder sur le dispositif analytique, pour maintenir l’exigence du cadre, pour ne pas nous « vendre » ? Quels sont les effets du virus sur la pratique du psychanalyste, et de quelle nature sont-ils ? Y a-t-il psychanalyse ou pas via internet ? Si l’on peut entendre les séances téléphoniques comme un moyen de poursuivre la cure, sont-elles pour autant une façon de la commencer ? Le dit de l’angoisse, du sexuel au téléphone a-t-il le même statut que celui produit sur le divan ? Comment le corps passe-t-il au travers du fil du téléphone ? Faut-il comprendre les séances par téléphone comme une aberration ou comme l’épure de la relation analytique ?

Comment faire entendre, à l’heure actuelle, notre offre de maintien, de soutien des processus de subjectivation, tandis que le discours ambiant oscille entre un repli dans l’anxiété, la jouissance débridée ou la toute-puissance du hors-la-loi ?

Á notre époque, quel est donc le coût pour demeurer freudien ?

Enfin, dans un tel contexte, les dispositions que nous avions classiquement mises en place pour transmettre la psychanalyse sont-elles encore valides ?

1 J. Lacan. Mon enseignement, Seuil, Paris, 2005, pp.87.88.

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